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critique de la philosophie kantienne

aux objets réels : l’ombre en effet reproduit à grands traits la complexité des choses et l’enveloppe d’un contour simple qui, en quelque sorte, la résume. Notre prétendu principe de la raison utilise cette ombre. Il ne s’agit de rien moins que de tirer du principe de raison, et cela par voie de conséquence, l’inconditionné, lequel est avec lui en contradiction formelle ; pour arriver néanmoins au but, notre principe abandonne prudemment la connaissance directe et intuitive du contenu du principe de raison, telle qu’elle s’offre à nous dans ses expressions particulières ; il se sert uniquement de concepts abstraits qui sont tirés de ces expressions particulières et qui tiennent d’elles leur valeur et leur signification ; de cette façon il introduit subrepticement son inconditionné dans la vaste sphère de ces concepts.

Le procédé apparaît de la manière la plus claire, lorsqu’on le met sous forme dialectique ; ainsi par exemple : « Si le conditionné existe, sa condition, elle aussi, doit être donnée, donnée tout entière, donnée complètement ; autrement dit, la totalité des conditions doit être donnée ; et, si ces conditions forment une série, cette série tout entière doit être donnée avec son commencement, c’est-à-dire avec l’inconditionné. » — Dans ce raisonnement je relève déjà une erreur : il n’est pas vrai que les conditions d’un conditionné constituent, à ce titre, une série. Au contraire la totalité des conditions d’un conditionné doit être contenue dans sa raison la plus prochaine, dans la raison dont il procède directement et qui par là même est sa raison suffisante. Tel est, par exemple, le cas des différentes déterminations d’un état qui constitue lui-même une cause : toutes ces déterminations doivent s’accomplir concurremment, avant que l’effet ne se produise. Mais cela ne nous conduit point à l’idée d’une série, telle que, par exemple, la chaîne des causes : pour qu’il y ait série, il faut que ce qui tout à l’heure était condition soit à son tour considéré comme conditionné ; il faut, autrement dit, que l’on recommence à nouveau l’opération tout entière ; il faut que le principe de raison, avec ses exigences, intervienne une seconde fois. À proprement parler, pour un conditionné, il ne peut pas y avoir une série successive de conditions, de conditions existant simplement à titre de conditions et ne servant qu’à expliquer le dernier conditionné. En réalité, la série est toujours une série alternative de conditionnés et de conditions : chaque fois que l’on a remonté un chaînon, la chaîne se trouve interrompue et les exigences du principe de raison sont complètement satisfaites : puis la chaîne recommence dès que l’on considère la condition comme un conditionné. Ainsi le principe de raison suffisante exige uniquement que la condition prochaine soit complète ; jamais il n’exige qu’il y ait