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critique de la philosophie kantienne

pensée, aux concepts abstraits ; elle ne se rapporte à l’intuition que par l’intermédiaire des concepts ; or les concepts se comportent à l’égard de l’intuition de manière à la transformer totalement. Les choses qui existent dans l’intuition, autrement dit, les rapports issus du temps et de l’espace, sont, à coup sûr, objets de la pensée ; par suite il doit y avoir, dans la langue, des formes pour les exprimer ; toutefois on ne les exprime qu’abstraitement, à titre de concepts. Les matériaux sur lesquels la pensée opère immédiatement, ce sont les concepts, rien que les concepts ; c’est à eux seuls que se rapportent les formes de la logique, car jamais elles ne se rapportent directement à l’intuition. Dans les jugements, l’intuition ne fournit que la vérité matérielle, jamais la vérité formelle, cette dernière se détermine uniquement d’après les règles dialectiques.


Je reviens à la philosophie kantienne et je passe à la Dialectique transcendantale. Kant commence par définir la raison, — faculté qui doit jouer le rôle principal dans cette partie de son ouvrage, puisque jusqu’ici c’étaient là sensibilité et l’entendement qu’il avait mis en vedette. À propos des différentes définitions de la raison d’après Kant, j’ai déjà parlé plus haut de celle qu’il donne ici : « La raison est la faculté des principes ». Par là il déclare que toutes les connaissances a priori étudiées jusqu’ici, celles qui fondent la possibilité des mathématiques pures et celles qui fondent la possibilité des sciences naturelles pures, nous donnent non pas des principes, mais de simples règles ; car elles procèdent d’intuitions et de formes de la connaissance, non de simples concepts ; or il faut qu’une connaissance procède de simples concepts pour qu’elle soit un principe. Ainsi, pour Kant, une connaissance de ce genre doit se composer de simples concepts et cependant être synthétique. — En fait, cela est radicalement impossible. Les simples concepts ne peuvent donner naissance qu’à des jugements analytiques. Si l’on unit des concepts tout à la fois synthétiquement et a priori, cette union ne peut être effectuée que par l’intermédiaire d’un troisième terme, grâce à une intuition pure de la possibilité formelle de l’expérience ; de même, les jugements synthétiques a posteriori sont unis par l’intermédiaire de l’intuition empirique. J’en conclus qu’un jugement synthétique a priori ne peut jamais procéder de simples concepts. Mais en somme, nous ne connaissons a priori que le principe de raison dans ses différentes expressions ; par suite, en fait de jugements synthétiques a priori, ne sont possibles que ceux qui procèdent de ce qui fournit un contenu à ce principe.