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le monde comme volonté et comme représentation

Ces trois formes de pensée émanent des lois de contradiction et d’identité, lois de la pensée. Mais du principe de raison et du principe du tiers exclu procède la :

d.Relation. Elle ne se présente que lorsqu’on porte un jugement sur des jugements déjà formulés ; voici donc uniquement en quoi elle consiste : tantôt elle affirme la dépendance d’un jugement au regard d’un autre, ou bien de plusieurs jugements au regard de plusieurs autres ; dans ce cas elle les unit par un jugement hypothétique ; tantôt elle affirme que des jugements s’excluent entre eux ; dans ce cas elle les sépare par un jugement disjonctif. La relation dépend de la copule qui sépare ou unit les jugements déjà formulés.

Les parties du discours et les formes grammaticales sont des expressions des trois éléments du jugement, je veux dire du sujet, du prédicat et de la copule ; elles expriment également les rapports qui peuvent exister entre ces éléments, les formes de la pensée telles que nous venons de les énumérer, plus les déterminations et modifications particulières de ces formes. Substantif, adjectif et verbe, tels sont donc les éléments essentiels du langage ; aussi doivent-ils se rencontrer dans toutes les langues. Toutefois on pourrait concevoir une langue dans laquelle l’adjectif et le verbe seraient toujours fondus ensemble, ce qui d’ailleurs arrive fréquemment dans toutes les langues. L’on pourrait dire provisoirement : à l’expression du sujet sont destinés le substantif, l’article, le pronom ; à l’expression du prédicat, sont destinés l’adjectif, l’adverbe, la préposition ; à l’expression de la copule correspond le verbe ; — tous les verbes à l’exception du verbe être contiennent déjà en eux un prédicat. — Quant au mécanisme exact qui régit l’expression des formes de la pensée, c’est à la philosophie de la grammaire de l’enseigner, de même que c’est à la logique d’enseigner les opérations que l’on accomplit avec ces mêmes formes.

Remarque. Pour prévenir toute méprise et aussi pour éclairer ce qui précède, il faut que je parle de l’ouvrage de S. Stern, le Fondement provisoire de la philosophie des langues[1], où l’auteur essaie de construire les catégories au moyen des formes grammaticales. C’est une tentative tout à fait manquée : il a totalement confondu la pensée avec l’intuition. Des formes grammaticales, il prétend déduire non point les catégories de la pensée, mais les prétendues catégories de l’intuition, par suite il met les formes grammaticales en rapport direct avec l’intuition. Il commet la grave erreur de croire que la langue se rapporte directement à l’intuition, tandis qu’en réalité elle se rapporte uniquement à la

  1. S. Stern, Vorlaüfige Grundlage zur Sprachphilosophie, 1835.