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le monde comme volonté et comme représentation

concepts suprêmes, cette base fondamentale de la raison, qui sert de fondement à toute pensée particulière, dont l’application est nécessaire pour mener à bien toute pensée, ces concepts suprêmes, dis-je, ne se réduisent-ils pas en définitive à des concepts qui, en raison de leur généralité extrême, de leur transcendantalité, s’expriment non dans des mots particuliers, mais dans des classes entières de mots ? Tout mot, en effet, quel qu’il soit, se trouve déjà lié à un concept ; par suite ce n’est point dans le vocabulaire, mais plutôt dans la grammaire qu’il faudrait chercher de quoi désigner les concepts en question. Mais comment trouver un principe de classification ? Ne pourrait-on pas choisir à cet effet ces différences particulières des concepts, en vertu desquelles le mot qui les exprime est substantif, adjectif, verbe, adverbe, pronom, préposition ou toute autre particule ? Ne pourrait-on pas, en un mot, fonder une classification sur les parties du discours ? Car il est incontestable que les parties du discours représentent les formes primordiales revêtues par toute pensée, les formes où l’on peut observer directement le mouvement de la pensée ; elles sont les formes essentielles du langage, les éléments fondamentaux de toute langue, et nous ne pouvons concevoir aucune langue qui ne se compose, au moins, de substantifs, d’adjectifs et de verbes. Puis il faudrait subordonner à ces formes essentielles les formes de pensées qui s’expriment par les flexions des formes essentielles, c’est-à-dire par la déclinaison et la conjugaison ; d’ailleurs ces formes de pensées peuvent aussi être indiquées à l’aide de l’article ou du pronom ; mais, en somme, il n’y a point là de quoi faire une distinction. — Toutefois nous voulons examiner la chose encore de plus près et nous poser à nouveau la question : que sont les formes de la pensée ?

1. — La pensée se compose tout entière de jugements : les jugements sont les fils dont elle est tout entière tissée. En effet, si l’on n’emploie pas un verbe, notre pensée ne bouge point de place ; et dès que l’on fait usage d’un verbe, on forme un jugement.

2. — Tout jugement consiste dans la connaissance d’un rapport entre le sujet et le prédicat : ce rapport est un rapport de séparation ou de liaison, accompagné de restrictions variées. Le rapport de liaison a lieu : 1° Lorsqu’on reconnaît l’identité effective des deux termes, cette identité ne se présente que dans le cas de deux concepts convertibles entre eux ; 2° Lorsque l’un des deux termes implique toujours l’autre, mais non réciproquement, c’est le cas du jugement universel affirmatif ; 3° Lorsque l’un des deux termes est quelquefois impliqué dans l’autre, c’est le cas du jugement particulier affirmatif. Les jugements négatifs suivent la marche inverse. Ainsi l’on doit trouver dans chaque jugement un sujet, un