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le monde comme volonté et comme représentation

en même temps — par exemple l’état lumineux et la température élevée du fer — c’est qu’il y a là deux états simultanés d’une même chose, ce qui suppose la matière, laquelle à son tour suppose l’espace. Rigoureusement parlant, la simultanéité est une détermination négative, indiquant simplement que deux choses ou deux états ne sont point différents par le temps et qu’il faut chercher ailleurs la raison de leur différence. — Toutefois il est incontestable que, chez nous, l’idée de permanence de la substance, c’est-à-dire de matière, repose sur une donnée a priori ; car aucun doute ne peut l’atteindre, autrement dit elle n’émane pas de l’expérience. Voici comment j’explique cette idée : le principe de tout devenir et de toute disparition, la loi de causalité, connu par nous a priori s’applique uniquement, en vertu de son essence même, aux seuls changements, c’est-à-dire aux états successifs de la matière ; autrement dit la loi de causalité n’affecte que la forme, elle laisse intacte la matière ; par suite la matière existe en notre conscience à titre de fondement universel des choses, affranchi de tout devenir et de toute mort, par suite éternellement vivant et permanent. Si l’on veut, à propos de la permanence de la substance, une démonstration plus approfondie, appuyée sur l’analyse de la représentation intuitive que nous avons du monde empirique, on la trouvera dans mon premier livre (§ 4) ; j’ai montré là que l’être de la matière consiste dans l’union complète de l’espace et du temps, union qui n’est possible que par la représentation de la causalité, c’est-à-dire par l’entendement, qui n’est pas autre chose que le corrélatif subjectif de la causalité ; par suite la matière n’est connue que comme agissante, autrement dit, elle n’est connue qu’à titre de causalité ; chez elle, être et agir, c’est tout un, comme d’ailleurs l’indique déjà en allemand le mot Wirklichkeit, signifiant à la fois réalité et activité. Union intime de l’espace et du temps — ou bien causalité, matière, Wirklichkeit (réalité et activité) — cela est tout un ; et le corrélatif subjectif de ces termes identiques, c’est l’entendement. La matière doit porter en elle les propriétés opposées des deux facteurs dont elle émane, et c’est à la représentation de la causalité qu’il incombe de supprimer l’antipathie des deux facteurs, de rendre en un mot leur coexistence intelligible pour l’entendement ; la matière existe par l’entendement et pour lui seul ; tout le pouvoir de l’entendement consiste dans la connaissance de la cause et de l’effet ; c’est pour l’entendement que se concilient ensemble dans la matière deux termes des plus différents, je veux dire, d’une part, la fuite sans repos du temps, d’autre part, l’immobilité rigoureuse de l’espace ; le premier de ces termes est représenté dans l’entendement par le changement des accidents, le second par la permanence de la substance. Si en effet la substance passait comme les