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le monde comme volonté et comme représentation

de possibilité ou impossibilité, laquelle apparaît pour la première fois, dès que l’on applique à l’objet la réflexion abstraite de la raison. Ainsi, aux quatre sortes de nécessités que nous avons citées plus haut s’opposent quatre sortes d’impossibilités, savoir : l’impossibilité physique, l’impossibilité logique, l’impossibilité mathématique, l’impossibilité pratique. Remarquons encore ceci : si l’on se borne complètement au domaine des concepts abstraits, la possibilité est toujours inhérente au concept le plus général, la nécessité au plus restreint, par exemple : « un animal peut être poisson, oiseau, amphibie, etc… » — « Un rossignol doit être un oiseau, l’oiseau un animal, l’animal un organisme, l’organisme un corps. » — Cela tient précisément à ce que la nécessité logique, dont l’expression est le syllogisme, va toujours du général au particulier, et jamais réciproquement. — Au contraire, dans la nature intuitive, — dans les représentations de la première classe —, tout est, à proprement parler, nécessaire, en vertu de la loi de causalité ; il suffit de l’intervention de la réflexion pour que nous puissions concevoir un phénomène intuitif à la fois comme contingent et comme simplement réel ; contingent, par comparaison avec ce qui n’est point la cause de ce phénomène ; simplement réel, par abstraction de tout lien causal. Il n’y a en réalité que cette seule classe de représentations qui donne lieu au concept du réel ; d’ailleurs nous pouvions déjà le savoir par l’origine de l’expression concept de la causalité. — Dans la troisième classe de représentation, dans l’intuition mathématique pure, il n’y a, pourvu que l’on se borne strictement à cette classe, exclusivement que la nécessité : la possibilité n’apparaît ici que par rapport aux concepts de la réflexion, par exemple : « un triangle peut être rectangle, équiangle, obtusangle ; il doit avoir trois angles dont la somme est égale à deux droits. » Ici donc l’on n’arrive à l’idée de possible que par le passage de l’intuitif à l’abstrait.

Après cet exposé, où j’ai invoqué non seulement le premier livre du présent écrit, mais encore ma dissertation sur le Principe de Raison, j’espère qu’il n’y aura plus de doutes sur la véritable origine, sur la genèse si complexe de ces formes du jugement dont le tableau de Kant nous fournit le catalogue ; l’on verra clairement combien inacceptable et dénuée de tout fondement est l’hypothèse des douze fonctions particulières de l’entendement, inventée pour rendre raison des formes du jugement. Ceci est déjà prouvé par bon nombre de remarques particulières et des plus faciles à faire. N’a t-il pas fallu par exemple tout l’amour de Kant pour la symétrie, toute sa confiance exagérée dans le fil d’Ariane par lui choisi, pour admettre que les jugements affirmatifs, catégoriques et assertoriques, étaient trois choses si foncièrement différentes que l’on