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critique de la philosophie kantienne

ment possible, c’est-à-dire susceptible de devenir réel. Pour accomplir ce progrès dans le raisonnement, il faut la mineure : la mineure établit la possibilité pour le cas particulier, puisqu’elle fait rentrer ce cas dans la règle générale. De là sort naturellement la réalité. Exemple :

Majeure. Le feu est capable de détruire toute maison (par suite aussi la mienne).

Mineure. Le feu prend à ma maison.

Conclusion. Le feu détruit ma maison.

Toute proposition générale, et par suite toute majeure, ne détermine les choses au point de vue de leur réalité que sous condition, c’est-à-dire hypothétiquement : pour le feu, par exemple, la faculté de détruire a pour condition le fait d’être allumé. Cette condition est donnée comme existante dans la mineure. La majeure, c’est l’artilleur qui charge le canon ; la mineure, c’est celui qui doit approcher la mèche, faute de quoi le coup, c’est-à-dire la conclusion, ne peut être tiré. Cette comparaison peut être appliquée d’une manière générale aux rapports de la possibilité et de la réalité. La conclusion, c’est-à-dire l’expression de la réalité, est toujours une conséquence nécessaire : donc tout ce qui est réel est également nécessaire ; il y a du reste une autre façon de le prouver, la voici : qui dit nécessaire, dit conséquence d’un principe donné ; dans le monde réel, ce principe est une cause : donc tout ce qui est réel, est nécessaire. De cette façon nous voyons les concepts de possible, de réel et de nécessaire se confondre ; ce n’est point seulement le réel qui suppose le possible, mais c’est aussi le possible qui suppose le réel. Ce qui les distingue l’un de l’autre, c’est la limitation de notre intellect par la forme du temps : le temps est l’intermédiaire entre la possibilité et la réalité. Un événement donné se manifeste évidemment comme nécessaire aux yeux de celui qui en connaît toutes les causes ; mais la rencontre de toutes ces causes, différentes entre elles, indépendantes les unes des autres, voilà ce qui nous apparaît comme contingent ; c’est justement l’indépendance de ces causes les unes à l’égard des autres qui constitue le concept de la contingence. Pourtant, chacune de ces causes étant la suite nécessaire de sa propre cause, et ainsi de suite indéfiniment, il est évident que la contingence est une apparence purement subjective, issue de la limitation de l’horizon de notre entendement, non moins subjective que cette ligne d’horizon optique où le ciel touche la terre.

Qui dit nécessité dit conséquence d’une raison donnée : par suite la nécessité doit se manifester sous une forme différente, selon que l’on a à faire à l’une des quatre expressions du principe de raison ; à chaque forme de la nécessité s’oppose une forme correspondante