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critique de la philosophie kantienne

Dans la nature, en tant qu’elle est représentation intuitive, tout ce qui arrive est nécessaire ; car chaque chose qui arrive procède de sa cause. Mais si nous considérons une chose particulière par rapport à ce qui n’en est point la cause, nous nous apercevons qu’elle est contingente : et c’est déjà là faire œuvre de réflexion abstraite. Nous pouvons maintenant, étant donné un objet de la nature, faire complète abstraction de ses relations causales, positive et négative, c’est-à-dire de sa nécessité et de sa contingence ; le genre de connaissance qui résulte de là se trouve compris sous le concept du réel ; cette connaissance se borne à considérer l’effet, sans remonter à la cause ; or c’est par rapport à cette dernière que l’effet pourrait être qualifié de nécessaire, et par rapport à tout le reste qu’il pourrait être qualifié de contingent. Tout cela tient, en dernière analyse, à ce que la modalité du jugement exprime le rapport de notre connaissance avec les choses plutôt que la nature objective des choses elles-mêmes. Du reste, comme dans la nature toute chose procède d’une cause, tout ce qui est réel est en même temps nécessaire. Mais, entendons-nous, nécessaire en cet instant du temps, en ce point de l’espace : car c’est là que se borne la détermination opérée par la loi de causalité. Abandonnons maintenant la nature intuitive pour passer à la pensée abstraite ; nous pouvons, en exerçant notre réflexion, nous représenter toutes les lois de la nature, qui nous sont connues les unes a priori, les autres a posteriori ; et cette représentation abstraite contient tout ce qui dans la nature existe en un instant quelconque, en un lieu quelconque, abstraction faite de tout lieu et de tout instant déterminés. Dès lors et par une telle réflexion, nous entrons dans le vaste domaine de la possibilité. Quant à ce qui ne trouve aucune place dans ce domaine, c’est l’impossible. Il est évident que possibilité et impossibilité n’existent qu’au regard de la réflexion, de la connaissance abstraite de la raison et non au regard de la connaissance intuitive ; toutefois c’est aux formes pures de cette dernière que la raison emprunte la détermination du possible et de l’impossible. Du reste les lois de la nature, qui nous servent de point de départ dans la détermination du possible et de l’impossible, étant connues les unes a priori, les autres a posteriori, il s’ensuit que la possibilité et l’impossibilité sont tantôt métaphysiques, tantôt purement physiques.

Cette exposition n’avait besoin d’aucune preuve, car elle s’appuie directement sur la connaissance du principe de raison et sur le développement des concepts du nécessaire, du réel et du possible ; d’ailleurs, elle montre suffisamment que Kant n’avait aucune raison d’inventer trois formes spéciales de l’entendement pour chacun de ces trois concepts : ici encore aucune considération ne l’a