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critique de la philosophie kantienne

d’elle on entende le mot cause dans un sens différent. Par exemple étant données deux choses, l’une agit sur l’autre comme motif, celle-ci agit sur celle-là comme cause efficiente. C’est ce qu’Aristote exprime en deux passages dans les mêmes termes[1] : « Έστι δὲ τινὰ ϰαὶ άλλήλων αίτια, οίον τὸ πονεῖν αίτιον τῇς εύεξίας, ϰαὶ αΰτη τοῦ πονεῖν άλλ ηύ τόν αύτὸν τρόπον ; άλλά τὸ μὲν ὼς τὲλς, τὸ δὲ ὼς άρχή ϰινήσεως. — Il est des choses qui sont mutuellement causes les unes des autres : par exemple l’exercice est cause de la bonne habitude, et celle-ci est cause de l’exercice, mais non dans le même sens ; la bonne habitude est cause finale, l’exercice est cause efficiente. » Si de plus il admettait encore une action réciproque proprement dite, il en ferait mention ici, puisqu’il prend soin en deux passages d’énumérer d’une manière complète les sortes de causes qui peuvent se présenter. Dans les Analytiques[2], il parle d’un échange circulaire entre les causes et les effets ; mais il ne parle point d’action réciproque.

4. Les catégories de la modalité ont sur toutes les autres un grand avantage : ce que chacune d’elles exprime correspond véritablement à la forme du jugement dont on la déduit ; or avec les autres catégories ce n’est presque jamais le cas, attendu que le plus souvent elles sont déduites des formes du jugement de la manière la plus forcée, et la plus arbitraire.

Ce sont les concepts du possible, du réel et du nécessaire qui donnent lieu aux jugements problématiques, assertoriques et apodictiques, rien n’est plus vrai. Mais, d’après Kant, ces concepts sont des formes particulières, originales, irréductibles, de l’entendement ; je dis que cela est faux. Loin d’être eux-mêmes originaux, ces concepts procèdent de l’unique forme originale et a priori de toute connaissance, je veux dire le principe de raison ; ajoutons que l’idée de nécessité dérive immédiatement de ce principe ; au contraire, c’est seulement après l’application de la réflexion à l’idée de nécessité que naissent les concepts de contingence, possibilité, impossibilité, réalité. Ce n’est point une faculté unique de l’esprit qui leur donne naissance : ils ont, ainsi que nous l’allons voir, leur origine dans un conflit entre la connaissance abstraite et la connaissance intuitive.

J’affirme que les concepts suivants : être nécessaire et être la conséquence d’une raison donnée sont des termes parfaitement convertibles et identiques. Nous ne pouvons connaître ni même penser aucune chose comme nécessaire, à moins de la considérer comme la conséquence d’une raison donnée ; et à part cette dépen-

  1. Phys. lib. II, cap. III : Métaphys., lib. V, cap. II.
  2. Analyt. post., lib. II, cap. II.