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critique de la philosophie kantienne

également partagée de part et d’autre, la pesanteur fait effort, mais elle ne peut manifester sa force par aucun effet, ainsi qu’il arrive dans tout corps appuyé sur son centre de gravité. Sans doute il suffit d’enlever l’un des poids pour donner lieu à un second état, lequel devient aussitôt la cause d’un troisième, à savoir la chute du second plateau ; mais ce fait n’arrive que d’après la simple loi d’effet et de cause, et ne donne lieu à aucune catégorie spéciale de l’entendement non plus qu’à aucune dénomination particulière. Veut-on un exemple de la deuxième série ? En voici un : Pourquoi le feu continue-t-il de brûler ? Parce que la combinaison de l’oxygène avec le combustible est une cause de chaleur ; à son tour cette chaleur devient cause, elle amène le retour de la combinaison. Il y a là tout simplement un enchaînement de causes et d’effets, dont les membres sont analogues alternativement : la combustion A détermine la chaleur effective B ; celle-ci détermine une nouvelle combustion C — c’est-à-dire un nouvel effet qui est analogue à la cause A, bien que numériquement il ne lui soit pas identique ; — la combustion C détermine une nouvelle chaleur D, — laquelle est identique non point à l’effet B, mais à son concept, c’est-à-dire est analogue à l’effet B —, et ainsi indéfiniment. Dans les Aspects de la nature[1] de Humboldt, je trouve un curieux exemple de ce que, dans la vie commune, on nomme action réciproque. C’est dans une théorie sur les déserts. Dans les déserts de sable, il ne pleut pas, mais il pleut sur les montagnes boisées qui les entourent. Ce n’est point l’attraction, exercée par les montagnes sur les nuages, qui en est cause ; voici comment les choses se passent : la colonne d’air échauffé qui monte de la plaine sablonneuse empêche les bulles de vapeur de se condenser et pousse les nuages sur les hauteurs. Sur la montagne le courant d’air qui s’élève perpendiculairement est plus faible, les nuages s’abaissent et par suite ils tombent en pluie, en raison de la plus grande fraîcheur de l’air. De cette façon le manque de pluie et la stérilité du désert se trouvent, l’un avec l’autre, en relation d’action réciproque ; il ne pleut pas parce que la surface sablonneuse échauffée fait rayonner plus de chaleur ; le désert ne devient ni une steppe ni une plaine herbeuse, parce qu’il ne pleut pas. Mais il est évident qu’ici encore nous n’avons affaire, comme dans l’exemple précédent, qu’à une succession de causes et d’effets analogues entre eux périodiquement ; donc il n’y a rien là qui soit absolument différent de la simple causalité. Tout se passe de la même façon dans les oscillations du pendule, dans l’entretien du corps organique par lui-même ; là également chaque état en amène un autre, lequel est spécifiquement identique à l’état qui

  1. 2e éd., vol. II, p. 79.