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le monde comme volonté et comme représentation

avec ce qui demeure ; car là où rien ne change, il n’y a pas d’action, il n’y a pas de causalité, il n’y a qu’un état de repos permanent. — Si maintenant cet état vient à changer, de deux choses l’une : ou bien le nouvel état est encore un état permanent, ou bien il ne l’est point ; dans ce cas il en amène aussitôt un troisième, et la nécessité, qui préside à ce changement, est précisément la loi de causalité ; or la loi de causalité, étant une expression du principe de raison, n’a pas besoin de plus ample explication, attendu que le principe de raison est lui-même la source de toute explication, de toute nécessité. De là il résulte clairement que le fait d’être cause et effet se trouve en étroite liaison, en rapport nécessaire avec la succession dans le temps. Que faut-il en effet pour que l’état A soit cause et l’état B effet ? Il faut que l’état A précède dans le temps l’état B, que leur succession soit nécessaire et non point contingente, autrement dit qu’elle ne soit pas une simple suite, mais une conséquence. Mais le concept d’action réciproque implique que les deux sont à la fois effet et cause l’un de l’autre : cela revient à dire que chacun des deux est à la fois antérieur et postérieur à l’autre, ce qui est un non-sens. Deux états simultanés, qui se nécessiteraient l’un l’autre, c’est chose inadmissible. Qu’y a-t-il en effet au fond de ce concept, deux états nécessairement liés et simultanés ? En réalité ces deux états n’en font qu’un seul : pour que cet état dure, il faut, il est vrai, la présence permanente de toutes ses déterminations ; mais sans que parmi ces déterminations il s’agisse ni de changement ni de causalité : il n’y est question que de durée et de repos. Et qu’implique encore notre concept ? Uniquement ceci, à savoir que, si une seule des déterminations de l’état ainsi existant vient à être changée, le nouvel état survenu par ce fait ne peut être durable, qu’il est pour le reste des déterminations de l’état primitif une cause d’altération, et par suite qu’il occasionne lui-même un nouvel et troisième état : toutes choses qui ont lieu purement et simplement d’après la loi de causalité ; il n’y a point là de place pour une nouvelle loi, telle que l’action réciproque.

J’affirme également d’une manière absolue qu’il n’y a pas un seul exemple à citer en faveur du concept d’action réciproque. De tous ceux que l’on pourrait invoquer, les uns se ramènent à un état de repos, où le concept de causalité n’a aucune application, puisqu’il n’a de sens qu’en présence du changement ; les autres se ramènent à une succession alternative d’états périodiquement analogues, se conditionnant entre eux ; or ce dernier cas, lui aussi, peut être parfaitement expliqué par la simple causalité. Voici un exemple de la première série : ce sont les plateaux de la balance amenés au repos par l’égalité de leur poids ; ici il n’y a aucune action, car il n’y a aucun changement : c’est un état de repos ;