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critique de la philosophie kantienne

c. Les jugements disjonctifs ont leur origine dans le principe du tiers exclu, loi de la pensée et vérité métalogique ; par suite ils sont la propriété exclusive de la raison pure et ils n’ont point leur origine dans l’entendement. En déduisant des jugements disjonctifs la catégorie de la communauté (Gemeinschaft) ou action réciproque (Wechselwirkung), Kant a donné un exemple bien frappant des violences qu’il se permet de temps en temps à l’égard de la vérité, par pur amour de la symétrie architectonique. L’impossibilité de cette déduction a été déjà souvent et à bon droit signalée ; elle a été démontrée par nombre d’arguments ; je renvoie entre autres à la Critique de la philosophie théorétique, par G.-E. Schulze et à l’Épicritique de la philosophie, par Berg. — Quelle analogie réelle y a-t-il entre la détermination d’un concept mise en lumière par des prédicats qui s’excluent mutuellement, et, d’autre part, l’idée d’action réciproque ? Ces deux termes sont même tout à fait opposés : en effet dans le jugement disjonctif, par le fait seul que l’on pose l’un des deux membres, l’on supprime nécessairement l’autre ; au contraire, lorsque l’on pense deux choses sous la relation d’action réciproque, par le fait seul que l’on pose l’une, l’on pose aussi nécessairement l’autre, et réciproquement. Donc le véritable correspondant logique de l’action réciproque est incontestablement le cercle vicieux ; en effet, dans le cercle vicieux comme dans l’action réciproque, le principe est conséquence et, réciproquement, la conséquence est principe. De même que la logique répudie le cercle vicieux, la métaphysique, elle aussi, doit bannir le concept d’action réciproque. Aussi suis-je tout à fait résolu à démontrer ce qui suit : il n’existe point d’action réciproque au sens propre du mot ; ce concept a beau être — grâce au défaut si commun de précision dans la pensée — d’un usage populaire ; toujours est-il que, si on l’examine de près, on en découvre le vide, la fausseté, le néant. Tout d’abord, que l’on se rappelle ce qu’est la causalité ; je renvoie également, à titre d’éclaircissement, à l’exposition que j’ai faite de la causalité, dans mon traité préparatoire (§ 20), dans mon mémoire sur la Liberté de la volonté (Ch. III. pp. 27 et suiv.), et enfin dans le quatrième livre de mes Suppléments. La causalité est la loi d’après laquelle les états de la matière se déterminent une place dans le temps. Dans la causalité il n’est question que des états, c’est-à-dire que des changements, mais non point de la matière, en tant que matière, ni de ce qui demeure sans changer la matière en tant que matière ne rentre point sous la loi de causalité, puisqu’elle ne devient point et qu’elle ne passe point ; par conséquent la causalité ne règne point sur la totalité des choses, comme on le dit communément, mais seulement sur les états de la matière. La loi de causalité n’a rien à faire