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le monde comme volonté et comme représentation

appartient, la vérité du jugement peut être logique, empirique, métaphysique ou métalogique ; j’ai du reste expliqué ce point dans mon traité préparatoire (§§ 30,33) et il est inutile d’y revenir ici. L’on voit par là combien différentes peuvent être les variétés de la connaissance immédiate, bien qu’abstraitement parlant nous nous les représentions toutes comme l’union des sphères de deux concepts, l’un sujet, l’autre prédicat ; l’on voit qu’il est tout à fait impossible d’invoquer, pour correspondre à cette connaissance immédiate et pour la produire, une seule et unique fonction de l’entendement. Voici par exemple les jugements suivants : « L’eau cuit les aliments. — Le sinus est la mesure de l’angle. — La volonté se décide. — L’occupation distrait — La distinction est difficile. — » Ils expriment par la même forme logique les relations les plus diverses : cela nous prouve encore une fois combien il est absurde de vouloir se mettre au point de vue de la connaissance abstraite pour analyser la connaissance immédiate et intuitive. — D’ailleurs une connaissance venue de l’entendement proprement dit, dans le sens que j’attache à ce mot, ne peut donner naissance à un jugement catégorique, si ce n’est à un jugement catégorique exprimant une causalité ; or cela est le cas de tous les jugements qui expriment une qualité physique. En effet, lorsque je dis : « Ce corps est lourd, dur, liquide, vert, acide, alcalin, organique, etc… », cela exprime toujours la manière dont ce corps agit, autrement dit une connaissance qui n’est possible que par l’entendement pur. Or les connaissances de cette espèce ayant été exprimées abstraitement, sous forme de sujet et prédicat, à la manière de plusieurs autres connaissances fort différentes (telles que par exemple la subordination de concepts souverainement abstraits), l’on a transporté les simples rapports des concepts entre eux dans la connaissance intuitive, et l’on s’est figuré que le sujet et le prédicat du jugement devaient avoir dans l’intuition leur corrélatif propre et spécial : la substance et l’accident. Mais je démontrerai plus loin que le concept de substance n’a, en réalité, d’autre contenu que celui du concept de matière. Quant aux accidents, ils correspondent simplement aux différentes espèces d’activité : par conséquent la prétendue idée de substance et d’accident se réduit à l’idée de cause et d’effet, idée de l’entendement pur. Mais comment, à vrai dire, prend naissance la représentation de la matière ? cette question est traitée en partie dans mon premier livre[1], puis d’une manière plus étendue dans mon traité sur le Principe de Raison[2] ; pour le reste, je compte l’étudier de plus près encore, lorsque j’examinerai le principe de permanence de la matière.

  1. 1er vol. § IV.
  2. À la fin du § 21, p. 77,3e édit., p. 82.