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le monde comme volonté et comme représentation

sur la raison ; cette forme n’est point empruntée, comme le contenu des jugements, à la connaissance intuitive de l’entendement ; par suite il est inutile de lui chercher dans la connaissance intuitive aucun corrélatif, aucun analogue. L’intuition, une fois engendrée par et pour l’entendement, est arrivée à la perfection ; elle n’est plus sujette à aucun doute ni à aucune erreur ; l’affirmation et la négation lui sont inconnues ; car elle s’exprime elle-même, et elle n’a point, comme la connaissance abstraite de la raison, toute sa valeur et tout son contenu à la merci de quelque chose d’extérieur : telle est en effet la loi qu’impose à la connaissance abstraite le principe de raison de la connaissance. Donc l’intuition est purement réalité, toute négation est étrangère à son essence et ne peut être ajoutée à l’intuition que par la réflexion, c’est-à-dire que par le fait la négation demeure, — ici comme partout, dans le domaine de la pensée abstraite.

Aux jugements affirmatifs et négatifs, Kant ajoute encore, faisant revivre les chimères des scolastiques, les jugements infinis ; c’est un bouche-trou subtilement inventé ; mais en réalité une telle classe de jugements ne méritait pas même qu’il en fût question. Bref, c’est encore une fausse fenêtre, comme Kant en a tant fait dans l’intérêt de la symétrie architectonique.

3. Sous le concept très vaste de la relation, Kant a groupé trois espèces de jugements tout à fait différentes ; il nous faut donc, pour en connaître l’origine, les étudier séparément.

a. Le jugement hypothétique est l’expression abstraite de la forme la plus générale de toute notre connaissance, le principe de raison. Or ce principe a quatre significations tout à fait différentes ; dans chacune de ces quatre significations, il émane d’une faculté de connaissance différente et il concerne une classe de représentations également différente ; j’ai déjà démontré tout cela en 1813 dans ma Dissertation sur le principe de raison. De là il résulte assez clairement que l’origine du jugement hypothétique, cette forme générale de la pensée, ne peut pas être simplement, comme le veut Kant, l’entendement et sa catégorie de la causalité ; car la loi de causalité, qui, d’après mon exposition, est l’unique forme de connaissance de l’entendement pur, la loi de causalité n’est qu’une des expressions du principe de raison lequel comprend toute connaissance pure ou a priori ; or le principe de raison, dans chacune de ses quatre significations, a pour expression cette forme hypothétique du jugement. Maintenant nous voyons tout à fait clairement cette vérité, que certaines connaissances ont beau être tout à fait différentes quant à leur origine et à leur signification ; que malgré tout, si on les pense abstraitement par le moyen de la raison, l’on découvre qu’en elles l’union des concepts, les jugements