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le monde comme volonté et comme représentation

plexe, et elle dessine d’un même contour les choses les plus différentes. En un mot il est impossible, en la prenant pour base, de construire d’une manière complète et sûre la forme des choses.

La connaissance réfléchie ou raison n’a qu’une forme fondamentale, le concept abstrait : cette forme est la propriété exclusive de la connaissance réfléchie et, directement, elle ne dépend en rien du monde intuitif ; celui-ci existe tout entier, bien qu’elle soit absente, pour les animaux ; et d’ailleurs il pourrait être tout autre, sans que cette forme, la réflexion, cessât pour cela de lui convenir. Mais le groupement des concepts en jugements a certaines formes déterminées et fixes ; ces formes, trouvées par l’induction, constituent le tableau des jugements. On peut en grande partie les déduire de la connaissance réfléchie elle-même, c’est-à-dire directement de la raison, particulièrement lorsqu’elles se manifestent en vertu des quatre lois de la pensée, appelées par moi vérités métalogiques, et en vertu du dictum de omni et nullo. Parmi ces formes d’autres s’expliquent par la connaissance intuitive, c’est-à-dire par l’entendement, et c’est justement là une preuve qu’il n’y a nullement lieu de recourir à un aussi grand nombre de formes spéciales de l’entendement : ces formes sont purement et simplement issues de l’unique fonction de l’entendement, savoir, la connaissance immédiate de la cause et de l’effet. D’autres enfin parmi ces formes naissent de la rencontre et de la réunion de la connaissance réfléchie et de la connaissance intuitive, ou pour mieux dire de la réception de celle-ci sous celle-là. Je vais à présent parcourir en détail les phases du jugement ; et je rapporterai l’origine de chacune d’elles à l’une des sources que j’ai indiquées. Nous avions déjà constaté que dans la déduction des catégories, l’exposition est confuse et contradictoire : désormais il sera évident que cette déduction est une chose inutile, une hypothèse dénuée de fondement.

1. Ce qu’on appelle quantité des jugements vient de l’essence des concepts considérés comme tels ; par suite la quantité repose exclusivement sur la raison, et n’a aucune relation immédiate avec l’entendement ou la connaissance intuitive. — En effet, comme je l’ai expliqué dans le premier livre, c’est une propriété essentielle des concepts pris comme tels, d’avoir un domaine circonscrit, une sphère ; le plus large, le plus indéterminé contient le plus étroit et le plus déterminé ; mais celui-ci à son tour peut être considéré isolément. Cette dernière opération peut se faire, soit en se bornant à caractériser d’une manière générale le petit concept comme une partie indéterminée du grand, soit encore en distinguant le petit concept d’une manière précise et complète grâce à l’emploi d’un nom particulier. Le jugement qui accomplit cette opération s’appelle