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critique de la philosophie kantienne

gement, devraient n’avoir aucune connaissance des objets. D’une manière générale, d’après Kant, on ne peut avoir l’intuition des objets ; on en a le concept. Moi, je dis au contraire : les objets n’existent en réalité que par l’intuition, et les concepts ne sont jamais que des abstractions tirées de cette intuition. La pensée abstraite doit donc se guider rigoureusement d’après le monde, tel qu’il nous est livré par l’intuition, puisque c’est uniquement à leur rapport avec le monde intuitif que les concepts doivent leur contenu ; de même, il est inutile d’admettre, pour la formation des concepts, aucune forme déterminée a priori, sauf l’aptitude toute générale à la réflexion dont la fonction essentielle est la formation des concepts, autrement dit de représentations abstraites et non intuitives ; ce qui est d’ailleurs l’unique fonction de la raison, ainsi que je l’ai montré dans le premier livre. Voilà pourquoi je veux que, sur les douze catégories, on en jette onze par-dessus bord pour conserver seulement la causalité ; toutefois il faut bien entendre que l’exercice de cette catégorie n’est rien moins que la condition de l’intuition empirique, laquelle par suite n’est point une opération purement sensible, mais bien intellectuelle, et que l’objet ainsi perçu par l’intuition, l’objet de l’expérience ne fait qu’un avec la représentation : il n’y a que la chose en soi qui ne rentre pas dans cette dernière.

Ayant étudié à diverses reprises et à des époques différentes de ma vie la Critique de la raison pure, je me suis fait ou plutôt j’ai reçu de cette étude approfondie des idées arrêtées au sujet de l’origine de la Logique transcendantale ; comme je les crois fort utiles à l’intelligence de l’œuvre, je les exprime ici. À lui tout seul, ce simple aperçu, que « l’espace et le temps nous sont connus a priori », est une découverte qui suppose une intelligence objective et la plus haute réflexion dont un homme soit capable. Réjoui de cette heureuse trouvaille, Kant a voulu poursuivre plus loin la veine qu’il avait rencontrée : son amour pour la symétrie architectonique fut pour lui le fil directeur. Ayant découvert que l’intuition empirique repose sur une intuition pure a priori qui en est la condition, il pensa que les concepts acquis empiriquement, devaient avoir également pour fondement dans notre faculté de connaître certains concepts purs ; la pensée empirique réelle ne devait être possible que grâce à une pensée pure a priori, laquelle n’avait par elle-même aucun objet propre, mais devait emprunter ses objets à l’intuition ; en sorte que, si les démonstrations de l’Esthétique transcendentale attribuaient un fondement a priori aux mathématiques, il devait également y en avoir un autre analogue pour la logique. Et voilà pourquoi l’Esthétique transcendantale eut dans la Logique transcendantale son pendant symétrique. Désor-