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doctrine de la représentation abstraite

matérialisme, qui ne pouvaient manquer de se produire comme réaction contre cet exclusivisme religieux. Qu’on songe où nous aurait menés la superbe des prêtres de chaque religion, si la foi aux dogmes était aussi solide et aussi aveugle qu’ils le voudraient. Qu’on jette, en outre un coup d’œil en arrière sur toutes les guerres, les agitations, les rébellions et les révolutions de l’Europe, du VIIIe au XVIIIe siècle : on en trouvera peu qui n’aient pas eu pour cause ou pour prétexte un dissentiment de foi, c’est-à-dire des problèmes de métaphysique ; c’est au nom de ces problèmes qu’on excitait les peuples les uns contre les autres. Ces dix siècles ne sont-ils pas un massacre perpétuel — pour raisons métaphysiques — tantôt sur le champ de bataille, tantôt sur l’échafaud, tantôt dans les rues ? Je voudrais posséder la liste authentique de tous les crimes que le christianisme a réellement empêchés et de toutes les bonnes actions qu’il a réellement motivées, pour la mettre dans l’autre plateau de la balance.

Enfin, en ce qui concerne les obligations de la métaphysique, elle n’en a qu’une et c’en est une qui n’en souffre pas d’autre à côté d’elle, l’obligation d’être vraie. Si à côté de celle-ci on prétend lui en imposer une autre, celle d’être spiritualiste, optimiste, monothéiste ou même morale, on ne peut pas savoir d’avance si cette seconde obligation ne se trouvera pas en conflit avec la première. sans laquelle la métaphysique perdrait toute sa valeur. Une philosophie donnée n’a donc pas d’autre critérium de sa valeur que la vérité. — D’ailleurs, la philosophie est essentiellement la science du monde : son problème, c’est le monde : c’est au monde seul qu’elle a affaire : elle laisse les dieux en paix, mais elle attend, en retour, que les dieux la laissent en paix.