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critique de la philosophie kantienne

donné avec l’intellect lui-même, c’est la manière générale dont tous les objets doivent se présenter à lui, autrement dit ce n’est autre chose que les formes de la connaissance de l’intellect, c’est-à-dire la manière, — déterminée une fois pour toutes, — dont il accomplit sa fonction de connaître. « Connaissances a priori » et « formes originales de l’intellect » ne sont donc au fond que deux expressions pour une même chose, c’est-à-dire, dans une certaine mesure, deux synonymes.

Aux doctrines de l’Esthétique transcendantale, je ne vois rien à retrancher ; mais je voudrais y ajouter une chose, une seule. Kant en effet n’est point allé jusqu’au bout de sa pensée, en ne rejetant pas toute la méthode de démonstration selon Euclide, alors qu’il avait dit que toute connaissance géométrique tirait de l’intuition son évidence[1]. Voici à ce propos un fait tout à fait singulier : c’est un des adversaires de Kant, le plus profond de tous, il est vrai, G.-E. Schulze[2], qui observe que la doctrine de Kant aurait pu introduire dans la méthode de la géométrie une révolution complète et renverser la géométrie actuellement en usage ; Schulze croyait avoir ainsi trouvé un argument apagogique contre Kant ; en réalité c’était simplement à la méthode d’Euclide qu’il déclarait la guerre sans le savoir. Qu’on se reporte ici au § XV du présent ouvrage.

L’esthétique transcendantale contient une étude détaillée des formes générales de l’intuition ; mais, à la suite de cette exposition, l’on voudrait encore quelques éclaircissements sur le contenu de ces formes, sur la façon dont l’intuition empirique se présente à notre conscience et dont se produit en nous la connaissance de tout cet univers si réel et si considérable à nos yeux. Mais, sur ce point, la doctrine de Kant tout entière ne contient rien de plus explicite que la formule suivante, d’ailleurs dépourvue de sens : « La partie empirique de l’intuition nous est donnée par le dehors ». — Voilà pourquoi, d’un seul bond, Kant passe des formes pures de l’intuition à la pensée, à la logique transcendantale. Dès le début de cette nouvelle étude, ne pouvant s’empêcher de traiter la matière et le contenu de l’intuition empirique, Kant fait son premier faux pas ; il commet le πρῶτον ψεῦδος : « Notre connaissance, dit-il, a deux sources, la réceptivité des impressions et la spontanéité des concepts : la première est la faculté de recevoir des représentations, la seconde celle de connaître un objet grâce à ces représentations : par la première l’objet nous est donné, par la seconde nous le pensons[3]. » — Cela est faux ; car, à ce compte, l’impression pour laquelle nous n’avons qu’une simple réceptivité, l’impression qui

  1. P. 87 ; 5e éd., p. 102.
  2. Kritik der theoretischen Philosophie, II, 241.
  3. P. 50 ; 5e éd., p.74.