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doctrine de la représentation abstraite

même de la métaphysique, ce qui lui permet de faire le pas décisif vers la solution du grand problème, c’est, comme je l’ai longuement et nettement établi dans ma Volonté dans la Nature sous la rubrique Astronomie physique, c’est, dis-je, qu’au point convenable elle sache combiner l’expérience externe avec l’expérience interne, et qu’elle fasse de celle-ci la clé de celle-là.

Sans doute, en assignant à la métaphysique une telle origine — et, si l’on veut être sincère, il est impossible de la lui refuser — on lui enlève cette sorte de certitude apodictique, qui n’est possible que par la connaissance a priori : cette certitude demeure la propriété de la logique et des mathématiques. Mais aussi ces sciences n’enseignent-elles réellement que ce que chacun sait déjà de lui-même, sans précision il est vrai ; tout au plus les tout premiers éléments de la science de la nature peuvent-ils se déduire de la connaissance a priori. En avouant cette origine empirique, la métaphysique ne fait que renoncer à une vieille prétention qui, comme nous l’avons montré, reposait sur une méprise et contre laquelle ont témoigné de tout temps la grande diversité et la mutabilité des systèmes philosophiques, ainsi que le scepticisme qui les a toujours accompagnés. Mais on ne saurait s’autoriser de cette mutabilité pour nier la possibilité de la métaphysique même ; car toutes les branches de la science de la nature, la chimie, la physique, la géologie, etc., ont été sujettes au changement, et l’histoire même a subi cette nécessité. Mais si un jour l’on trouve un système métaphysique exact, autant du moins que le comportent les bornes de l’intellect humain, ce système n’en aura pas moins l’immutabilité d’une science connue a priori, et cela parce que le fondement n’en peut être que l’expérience d’une manière générale, et non les expériences particulières et de détail, lesquelles viennent sans cesse modifier les sciences de la nature et amener de nouveaux matériaux à l’histoire. En effet, l’expérience dans son ensemble ne changera jamais de caractère.

En second lieu se pose cette question : Comment une science puisée dans l’expérience peut-elle dépasser celle-ci et mériter ainsi le nom de métaphysique ? Elle ne le peut certes pas de la même manière dont de trois nombres proportionnels il en naît un quatrième, ni de la façon dont on trouve un triangle, étant donnés deux côtés et leur angle. Tel était pourtant le procédé du dogmatisme antérieur à Kant, dogmatisme qui prétendait conclure, selon certaines lois qui nous sont connues a priori, de ce qui est donné à ce qui ne l’est pas, de la conséquence au principe, c’est-à-dire de l’expérience à ce qui ne peut être donné dans aucune expérience. Kant a fort bien mis en lumière l’impossibilité d’une métaphysique ainsi construite, en montrant que ces lois, si elles ne sont pas pui-