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doctrine de la représentation abstraite

Je ne puis établir, comme on le fait généralement, une différence fondamentale entre les religions, selon qu’elles sont monothéistes, polythéistes, panthéistes ou athées. Ce qui selon moi les différencie, c’est leur manière de voir optimiste ou pessimiste. Les unes considèrent l’existence de ce monde comme ayant sa raison d’être en elle-même, elles la louent et la célèbrent. Les autres la considèrent comme quelque chose qui ne saurait être conçu qu’à titre de conséquence de nos péchés et qui, par conséquent, ne devrait pas être par soi-même. Elles reconnaissent que la douleur et la mort ne peuvent pas avoir leur raison dans l’ordre éternel, primitif et immuable des choses, dans ce qui doit être, à quelque point de vue qu’on se place. Si le christianisme a eu la force de triompher du judaïsme d’abord, puis du paganisme gréco-romain, il en est redevable uniquement à son pessimisme, à cet aveu, directement contraire à l’optimisme juif et païen, que notre état est fort misérable et en même qu’il est un état de péché. Quand cette vérité profondément et douloureusement sentie de tous se fit jour, elle amena à sa suite le besoin d’une rédemption.

Je passe à l’étude de la seconde catégorie de métaphysique, celle qui porte sa confirmation en elle-même et qu’on appelle philosophie. Je rappelle l’origine que je lui ai assignée plus haut suivant moi, la philosophie naît de notre étonnement au sujet du monde et de notre propre existence, qui s’imposent à notre intellect comme une énigme dont la solution ne cesse dès lors de préoccuper l’humanité. Il ne pourrait pas en être ainsi, et j’appelle avant tout l’attention de mes lecteurs sur ce point, si le monde était une substance absolue au sens du spinozisme et des formes contemporaines du Panthéisme, c’est-à-dire s’il était une existence absolument nécessaire. Cela reviendrait à dire que le monde existe avec une nécessité telle, qu’à côté d’elle toute autre nécessité que l’intellect pourrait concevoir en tant que telle ne serait que hasard et que contingence ; le monde serait quelque chose qui comprendrait non seulement toute l’existence possible, si bien que, comme Spinoza l’affirme d’ailleurs, le possible et le réel ne feraient qu’un ; il nous serait impossible de concevoir que le réel ne fût pas ou qu’il fût autrement, en un mot, la représentation du monde tel qu’il est serait aussi essentielle à notre pensée que la représentation de l’espace et du temps. De plus, puisque nous-mêmes serions des parties, des modes, attributs ou accidents d’une telle substance

    le monde a été produit, — et par qui ? Et alors tous les changements dans le monde sont attribués aux œuvres morales d’êtres animés, et il est dit que dans le monde tout n’est qu’illusion, qu’il n’y a aucune réalité dans les objets, que tout est vide. Le Brahma ainsi instruit de la doctrine de Buddha devient son adepte.