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le besoin métaphysique de l’humanité

tout cas, je me réjouis de constater un accord si profond entre ma doctrine et une religion qui, sur terre, a la majorité pour elle, puisqu’elle compte plus d’adeptes qu’aucune autre. Cet accord m’est d’autant plus agréable que ma pensée philosophique a certainement été libre de toute influence bouddhiste ; car jusqu’en 1818, date de l’apparition de mon ouvrage, nous ne possédions en Europe que de rares relations, insuffisantes et imparfaites, sur le Bouddhisme ; elles se bornaient presque entièrement à quelques dissertations, parues dans les premiers volumes des Asiatic Researches, et concernaient principalement le Bouddhisme des Birmans. C’est depuis lors seulement qu’il nous a été donné de connaître cette religion plus à fond, grâce surtout aux études précises et instructives qu’un membre distingué de l’Académie de Saint-Pétersbourg, J.-J. Schmidt, a publiées dans les Mémoires de cette Académie. Des savants anglais et français ont complété peu à peu ces renseignements, si bien que, dans mon traité sur la Volonté dans la nature, j’ai pu donner sous la rubrique de Sinologie une liste assez étendue des meilleurs écrits publiés sur cette religion. — Malheureusement Czoma Körösi, ce savant hongrois d’une volonté si persévérante, qui pour étudier la langue et les livres sacrés du Bouddhisme avait passé plusieurs années au Thibet et principalement dans les couvents bouddhistes, nous a été enlevé par la mort, au moment même où il allait coordonner à l’usage du public les résultats de ses recherches. Je ne puis toutefois pas dissimuler le plaisir que j’ai éprouvé en lisant dans ses relations provisoires quelques passages directement empruntés au Kahgyur, entre autres cet entretien de Bouddha mourant avec un Brahma qui se convertit à sa doctrine. « There is a description of their conversation on the subject of creation, — by whom was the world made. Shahya asks several questions of Brahma, — whether was it he, who made or produced such and such things, and endowed or blessed them with such and such virtues or properties, — whether was it he who caused the several revolutions in the destruction and regeneration of the world. He denies that he had ever done anything to that effect. At last he himself asks Shakya how the world was made, — by whom ? Here are attributed all changes in the world to the moral works ofthe animal beings, and it is stated that in the world all is illusion, there is no reality in the things ; all is empty. Brahma being instructed in his doctrine, becomes his follower. » (Asiatic researches, vol. 20, p. 434)[1].

  1. « On nous décrit leur entretien qui a pour objet la création, — par qui le monde a-t-il été produit ? Buddha pose plusieurs questions à Brahma : est-ce lui qui a fait ou produit tel ou tel objet, qui l’a doué de telle ou telle qualité ? — Brahma nie qu’il ait jamais fait quelque chose de pareil. Enfin il demande lui-même à Buddha, comment