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l’usage pratique de la raison et le stoïcisme

avons de les perdre ; et enfin, leur perte, entraînent de plus grandes souffrances que l’effort nécessaire pour y renoncer. Aussi choisissaient-ils, — pour arriver à une vie exempte de douleurs, — la voie du renoncement le plus absolu. Ils fuyaient tous les plaisirs comme des pièges, qui nous exposent ensuite à la souffrance. Cela fait, ils pouvaient faire bonne contenance devant la fortune et tous ses caprices. Tel est l’esprit même du cynisme : Sénèque l’a clairement exprimé dans son huitième chapitre du De tranquilitate animi : « Cogitandum est quanto levior dolor sit, non habere, quam perdere et intelligemus paupertati eo minorem tormentorum, quo minorem damnorum esse materiam ». De même : « Tolerabilius est faciliusque non acquirere, quam amittere… Diogenes effecit, ne quid sibi eripi posset… qui se fortuitis omnibus exuit… videtur mihi dixisse age tuum negotium, Fortuna ; nihil apud Diogenem jam tuum est. » Comme pendant à cette proposition, voici une citation de Stobée (Ecl. II, 7) : Διογενης εφη νομιζειν οραν την Τυχην ενορωσαν αυτον και λεγουσαν τουτον δ’ου δυναμαι βαλεειν κυνα λυσσητηρα. « Diogenes credere se dixit videre Fortunam ipsum intuentem ac dicentem Ast hunc non potui tetigisse canem rabiosum ». C’est ce même esprit du cynisme, qui perce dans l’épitaphe de Diogène (dans Suidas au mot ~KnM<et dans Diogène Laërce, VI, 2) :

Γηρασκει μεν χαλαος υπο χρονου αλλα σον ουτι
_____κυδος ο πας αιων, Διογενες, καθελει
Μουνος επει βιοτης αυταρκεα δοξαν εδειξας
_____Θνητοις, και ζωης οιμον ελαφροτατην.

Æra quidem absumit tempus, sed tempore nunquam
  Interitura tua est gloria, Diogenes.
Quandoquidem ad vitam miseris mortalibus æquam
  Monstrata est facilis, te duce, et ampla via.

L’idée fondamentale du cynisme, c’est donc que la vie, plus on l’envisage sous sa forme la plus simple et la plus nue, avec les misères que la nature y a attachées, plus elle est supportable, et que, par conséquent, c’est celle-là qu’il faut choisir ; car toutes les commodités et tous les plaisirs, par où l’on essaie de la rendre plus douce, ne font qu’y ajouter de nouvelles calamités, plus lourdes que celles qui y sont naturellement jointes. Aussi, peut-on considérer cette proposition comme le résumé de toute la doctrine cynique : Διογενης εϐοα πολλακις λεγων, τον των ανθρωπων βιον ραδιον υπο των θεων δεδοσθαι, αποκεκρυφθαι δε αυτον ζητουντων μελιπηκτα και μυρα και τα παραπλησια. « Diogenes clamabat sæpius hominum vitam facilem a diis dari, verum occultari illam quærentibus mellita cibaria, unguenta et his similia.Diog.