Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
277
des imperfections essentielles de notre intellect

vieillit avec le cerveau, je veux dire que, comme les fonctions physiologiques, il perd son énergie une fois la maturité passée, et alors ses imperfections s’accentuent encore.

Toutefois nous ne nous étonnerons pas de cette constitution défectueuse de l’intellect, si nous en considérons l’origine et la destination, telles que je les ai exposées au second livre. La nature a mis l’intellect au service d’une volonté individuelle ; aussi a-t-il pour fonction unique de connaître les objets, en tant qu’ils sont susceptibles de devenir les motifs d’une telle volonté, mais non pas de les approfondir, d’en saisir l’essence en soi. L’intellect humain n’est qu’un degré supérieur de l’intellect animal ; et si celui-ci est entièrement borné au présent, le nôtre aussi conserve de fortes traces de cette limitation. C’est pourquoi notre mémoire, notre faculté de réminiscence est quelque chose de très imparfait : quelle faible part nous nous rappelons, de ce que nous avons fait, subi, appris et lu ! C’est pour la même raison encore qu’il nous est si difficile de nous dégager de l’impression du présent. — L’inconscience est l’état primitif et naturel de toute chose, conséquemment aussi le fonds d’où émerge, chez certaines espèces, la conscience, efflorescence suprême de l’inconscience ; voilà pourquoi celle-ci prédomine toujours dans notre être intellectuel. La plupart des êtres sont donc privés de conscience ; ils agissent pourtant d’après les lois de leur nature, c’est-à-dire de leur volonté. Les plantes ont tout au plus un sentiment très faible approchant de la conscience, chez les animaux tout à fait inférieurs celle-ci ne luit que comme un crépuscule. Mais même après avoir traversé toute la série animale et s’être élevée dans l’homme jusqu’à la raison, l’inconscience végétative, qui a subi cette transformation, n’en demeure pas moins la base de ces formes supérieures, qui sont ses formes ; son influence se fait sentir par la nécessité du sommeil et par les imperfections ci-dessus étudiées de tout intellect né de fonctions physiologiques : or nous n’en connaissons pas qui soit d’autre sorte.

Ces imperfections essentielles, dont nous venons de parler, sont toujours augmentées dans les cas particuliers par des imperfections non-essentielles. L’intellect n’est jamais, à tous les égards, ce qu’il pourrait être ; les perfections dont il est susceptible sont tellement divergentes, qu’elles s’excluent. Aussi personne ne peut-il être à la fois Platon et Aristote, Shakespeare et Newton, Kant et Gœthe. Les imperfections de l’intellect au contraire font très bon ménage ensemble, et c’est pourquoi il demeure dans la réalité bien au-dessous de ce qu’il pourrait être. Ses fonctions dépendent de tant de conditions — conditions que dans le phénomène, qui seul nous les donne, nous saisissons uniquement sous la forme anatomique et physiologique — qu’un intellect, excellent même sur un