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CHAPITRE XIV
DE L’ASSOCIATION DES IDÉES

La présence des représentations et des pensées dans notre conscience est aussi sévèrement soumise aux différentes formes du principe de raison que le mouvement des corps l’est à la loi de causalité. Pas plus qu’un corps ne peut entrer en mouvement sans cause, une pensée ne saurait entrer dans la conscience sans une occasion qui l’amène. Cette occasion est ou extérieure (impression exercée sur les sens), ou intérieure (pensée qui en amène une autre en vertu de l’association). Celle-ci, à son tour, repose ou sur un rapport de principe à conséquence entre les deux pensées, ou sur un rapport de similitude, voire de simple analogie, ou enfin sur leur contiguïté primitive dans la conscience, qui peut avoir elle-même sa raison dans la contiguïté locale des objets correspondants. Ce sont ces deux derniers cas que désigne le mot « à propos ». La prédominance chez un individu d’une de ces trois causes de l’association est caractéristique de sa valeur intellectuelle : la première prédominera chez les esprits profonds, chez les penseurs ; la seconde chez les individus de tempérament spirituel ou poétique ; la troisième chez les esprits bornés. Ce qui n’est pas moins caractéristique, c’est le degré de facilité avec laquelle une pensée en provoque une autre qui présente quelques rapports avec elle : c’est cette facilité qui constitue la vivacité de l’esprit. Quant à l’impossibilité pour toute pensée d’entrer dans la conscience, même en vertu de notre volonté la plus forte, si c’est sans y être amenée suffisamment, elle est attestée par tous les cas où nous nous efforçons vainement de nous rappeler quelque chose : nous fouillons alors dans toute la provision de nos pensées, pour en trouver une qui soit associée à celle que nous cherchons : si cette dernière est trouvée, l’autre se présente immédiatement. En général, quiconque veut provoquer un souvenir, s’enquiert tout d’abord d’un fil auquel ce souvenir soit suspendu par l’association des idées. C’est là-dessus que repose la mnémotechnie : elle veut nous munir des moyens propres à rappeler facilement les concepts, les pensées ou les mots que nous avons intérêt à conserver. Le malheur, c’est ce que ces moyens ont besoin d’être retrouvés à leur tour et qu’il faut pour cela d’autres moyens. Un exemple accentuera encore ce rôle de la