Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XIII
À PROPOS DE LA MÉTHODOLOGIE DES MATHÉMATIQUES[1]

La méthode de démonstration d’Euclide a produit sa propre parodie, la caricature la meilleure qu’on en puisse faire, dans la célèbre discussion sur la théorie des parallèles et dans les vains essais, renouvelés chaque année, de démontrer le onzième axiome. Cet axiome énonce, en effet, et rend visible à l’aide d’une troisième droite sécante, que deux droites qui tendent l’une vers l’autre (car c’est cette position qu’exprime la formule « être plus petit que deux droits » ), si elles sont suffisamment prolongées, finiront par se rencontrer : cette vérité paraît trop compliquée aux mathématiciens pour qu’ils l’acceptent comme évidente par elle-méme, et c’est pourquoi ils en cherchent une démonstration ; mais cette démonstration ils ne réussissent jamais à la trouver, précisément parce que la vérité en question est d’une certitude on ne peut plus immédiate. Ce scrupule de conscience me remet en mémoire la question de droit si plaisamment formulée par Schiller.

« Depuis des années déjà je me sers de mon nez pour flairer ;
Mais puis-je établir que j’ai sur lui un droit réel ? »

Il me semble même que, dans ces tentatives de démonstration, la méthode logique atteint le comble de la niaiserie. Mais au moins ces discussions et les vains essais qu’on fait pour représenter ce qui est certain immédiatement comme l’étant seulement médiatement, ont l’avantage de marquer entre l’indépendance et la clarté de l’évidence intuitive d’une part, et d’autre part l’inutilité et la difficulté de la démonstration logique, un contraste aussi instructif qu’amusant. Car si, dans la question qui nous occupe, les mathématiciens ne se contentent pas de la certitude immédiate, c’est parce qu’elle n’est pas purement logique, qu’elle ne découle pas du concept, c’est-à-dire ne repose pas uniquement sur le rapport de l’attribut au sujet, en vertu du principe de contradiction. Or cet axiome est un jugement synthétique a priori, et comme tel porte en lui la garantie de l’intuition pure, non empirique, laquelle est aussi immédiate et aussi certaine que le principe de contradiction lui-

  1. Ce chapitre correspond au § 15 du premier volume.