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théorie de la science

le savant étranger et aussi le savant allemand sont obligés d’apprendre deux fois les termes techniques de leur science, travail fort long et pénible, surtout quand ces termes sont aussi nombreux qu’en anatomie, par exemple. Si les autres nations n’étaient pas plus sages à cet égard que les Allemands, il nous faudrait apprendre cinq fois chaque terme technique. Si les Allemands continuent à germaniser de cette façon, les savants étrangers finiront par ne plus lire leurs ouvrages, d’autant que nos savants écrivent dans un style négligé, prolixe, souvent même affecté et sans goût, et n’ont nul égard au lecteur et à ses commodités. — En second lieu, ces traductions allemandes des termes techniques sort presque toujours des mots longs, rapiécés, maladroitement choisis, traînants et sonnant mal ; ne tranchant pas fortement sur le reste de la langue, ils ne se gravent pas facilement dans la mémoire, tandis que les expressions latines et grecques, choisies par les immortels créateurs des diverses sciences, ont toutes les qualités opposées, et grâce à leur son harmonieux s’impriment facilement dans la mémoire. Stickstoff lieu d’azote, n’est-ce pas là un mot hideux et cacophonique ? Les mots de « verbe, substantif, adjectif » se retiennent et se distinguent plus facilement que les termes allemands correspondants Zeitwort, Nennwort, Beiwort. J’en dirai autant du mot Umstandwort qui sert à désigner l’adverbe. Cette manie est tout à fait insupportable en anatomie, sans compter qu’elle est commune et triviale. Déjà Pulsader et Blutader sont plus faciles à confondre au premier coup d’œil que les mots artère et veine ; mais ce qui est la confusion même, ce sont des expressions comme Fruchtälter, Fruchtgang, Fruchleiter, au lieu de uterus, vagina, tuba Faloppii, que chaque médecin doit connaître, qui sont communes à toutes les langues européennes ; de même Speiche et Ellenbogenröhe, au lieu de radius et ulna que toute l’Europe connaît depuis des siècles ; pourquoi alors ces germanismes maladroits, confus, traînants et insipides ? Non moins répugnante est la traduction des termes techniques en logique, où nos sublimes professeurs de philosophie ont créé une terminologie nouvelle, chacun ayant la sienne propre. Chez G.-E. Schulze, par exemple, le sujet s’appelle Grundbegriff (concept fondamental), l’attribut Beilegungsbegriff (concept d’attribution) ; nous trouvons chez lui des Beilegungsschlüsse (raisonnements d’attribution), des Voraussetzungsschlüsse (raisonnements de supposition) et des Entgegensetzungsschlüsse (raisonnements de contradiction) ; les jugements, au lieu d’avoir une quantité, une qualité, une relation et une modalité, ont Grösse, Beschaffenheit, Verhältnis, Zuverlässigkeit. Cette teutomanie produit dans toutes les sciences la même impression répugnante. En outre, les expres-