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critique de la philosophie kantienne

cipe « tous les hommes sont mortels », on arrive à la conséquence « quelques hommes sont mortels » par le simple entendement, tandis que celle-ci : « tous les savants sont mortels », exige une faculté toute différente et bien supérieure, la raison. Comment est-il possible qu’un grand penseur ait pu faire une pareille assertion. — Ailleurs, et à brûle-pourpoint, la raison est déclarée la condition constante de toute action libre[1]. — Ailleurs elle est la faculté qui nous permet de rendre compte de nos affirmations[2]. — Ailleurs elle est ce qui réduit à l’unité les concepts de l’entendement pour en faire des idées, comme l’entendement réduit à l’unité la pluralité des objets pour en faire des concepts[3]. — Ailleurs elle n’est pas autre chose que la faculté de déduire le particulier du général[4].

L’entendement aussi reçoit sans cesse des définitions nouvelles : en sept passages de la Critique de la raison pure, il est tantôt la faculté de produire les représentations[5], tantôt celle de formuler des jugements, c’est-à-dire de penser, autrement dit de connaître par le moyen des concepts[6] ; tantôt d’une manière générale il est la faculté de connaître[7] ; tantôt il est celle de connaître les règles[8] ; tantôt au contraire il est défini non seulement la faculté de connaître les règles, mais encore la source des principes, grâce à laquelle tout est réglé dans le monde[9], bien que pourtant Kant l’opposât naguère à la raison, sous prétexte que celle-ci seule était la faculté de connaître les principes ; tantôt encore il est la faculté de connaître les concepts[10] ; tantôt enfin il est celle d’introduire l’unité dans les phénomènes par le moyen des règles[11].

Pour l’une et l’autre de ces facultés de connaître, j’ai moi-même donné des définitions rigoureuses, exactes, précises, simples, toujours en harmonie avec le langage usuel de tous les peuples et de tous les temps ; je crois inutile de les justifier contre celles de Kant qui ne sont, — sauf le respect qui s’attache à son nom, — que paroles confuses et vides de sens. Je ne les ai citées que pour confirmer ma critique, pour prouver que Kant poursuit son système symétrique et logique, sans réfléchir suffisamment à l’objet même qu’il traite.

  1. P. 553 ; 5e éd., p. 581.
  2. P. 614 ; 5e éd., p. 642.
  3. P. 643, 644 ; 5e éd., p. 671-674.
  4. P. 646 ; 5e éd., p. 674.
  5. P. 51 ; 5e éd., p. 75.
  6. P. 69 ; 5e éd., p. 94.
  7. 5e éd., p. 137.
  8. P. 132 ; 5e éd., p. 171.
  9. P. 158 ; 5e éd., p. 197.
  10. P. 160 ; 5e éd., p. 199.
  11. P. 302 ; 5e éd., p. 359.