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CHAPITRE XII
THÉORIE DE LA SCIENCE[1]

De l’analyse, donnée dans les chapitres précédents, des diverses fonctions de notre intellect, il résulte que pour en faire, soit à un point de vue théorique, soit à un point de vue pratique, un usage conforme aux règles, il faut satisfaire aux conditions suivantes : 1° aperception nette et intuitive des objets réels pris en considération, de leurs qualités essentielles et de leurs rapports, en un mot des données ; 2° formation par le moyen de ces données de concepts exacts, c’est-à-dire subsomption de ces qualités sous des idées abstraites qui leur conviennent, et qui deviendront la matière du travail de pensée ultérieur ; 3° comparaison de ces concepts tant avec l’intuition, qu’entre eux-mêmes, ainsi qu’avec le reste de nos concepts, de sorte qu’on puisse en tirer des jugements exacts, se rapportant à la question, qui l’embrassent entièrement et l’épuisent ; en un mot appréciation exacte de la question ; 4° coordination de ces jugements, qui les combine en prémisses de raisonnements ; cette combinaison peut différer selon le choix et la disposition des jugements, et pourtant c’est d’elle que dépend avant tout le véritable résultat de l’opération tout entière.

Ce qui importe en l’espèce, c’est que, parmi tant de combinaisons possibles des jugements ayant rapport à l’objet en question, la libre réflexion trouve à propos la combinaison efficace et décisive. — Si dans la première de ces opérations, c’est-à-dire dans l’intuition des objets et des rapports, quelque point a échappé à notre attention, toutes les opérations consécutives de l’esprit, si régulières et si justes qu’elles puissent être, n’empêcheront pas le résultat d’être faux : c’est dans l’intuition, en effet, que sont déposées les données, c’est-à-dire la matière de tout le travail intellectuel. Faute d’être certain d’avoir réuni toutes les données et de les avoir exactement établies, il faut s’abstenir, dans toute question importante, d’un jugement définitif.

Un concept est juste ; un jugement vrai ; un corps réel ; un rapport évident. — Une proposition d’une certitude immédiate est un axiome. Seuls les principes de la logique, ainsi que les principes

  1. Ce chapitre correspond au § 14 du Ier du volume.