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doctrine de la représentation abstraite

cette qualité se trouve attachée à une autre que nous leur connaissons déjà, ou inversement. Aussi le principe directeur est-il ici nota notæ est nota rei ipsius, et repugnans notæ repugnat rei ipsi.

Si, au contraire, nous comparons deux jugements dans l’intention de déterminer le rapport réciproque de leurs sujets, il nous faut prendre comme terme commun de comparaison l’attribut de ces jugements : cet attribut sera donc le moyen terme, et devra par conséquent être identique dans les deux. C’est cette sorte de comparaison qui donne naissance à la deuxième figure. Ici le rapport des deux sujets entre eux est déterminé au moyen de leur rapport à un seul et même attribut. Mais cette dernière relation ne peut avoir quelque importance, que si le même attribut est accordé à un sujet et refusé à l’autre ; c’est de la sorte qu’elle devient une raison essentielle de différenciation entre les deux. Supposons, en effet, que cet attribut soit accordé aux deux sujets : dans ce cas le rapport des deux sujets à cet attribut ne pourrait pas décider de leurs rapports entre eux, car presque chaque attribut convient à une infinité de sujets. Ce rapport serait encore moins décisif, si l’attribut était refusé aux deux sujets. De là résulte le caractère fondamental de la deuxième figure, à savoir que les deux prémisses doivent être de qualité contraire : l’une doit affirmer, l’autre nier. La règle principale est ici : sit altera negans, dont le corollaire est : e meris affirmativis nil sequitur. On pèche souvent contre cette règle dans les argumentations incohérentes, dont le vide cherche à se dissimuler au moyen de nombreuses propositions intermédiaires. De ce que nous venons de dire résulte clairement le processus intellectuel dans cette figure : c’est l’examen de deux sortes d’objets, dans l’intention de les distinguer, c’est-à-dire d’établir qu’ils ne sont pas de même espèce ; la distinction est déterminée par ce fait qu’un attribut qui est essentiel à l’une des deux sortes fait défaut à l’autre. Un exemple montrera que ce processus revêt tout naturellement la deuxième figure, et ne s’exprime dans toute sa netteté que par elle :

Tous les poissons ont le sang froid ;
Aucune baleine n’a le sang froid :
Donc aucune baleine n’est un poisson.

Dans la première figure au contraire la même pensée s’exprimera sous une forme affaiblie, forcée, et en dernier lieu par une sorte de raccroc :

Rien de ce qui a le sang froid n’est une baleine ;
Tous les poissons ont le sang froid :
Donc aucun poisson n’est une baleine,
Et conséquemment aucune baleine n’est un poisson.