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doctrine de la représentation abstraite

par l’entremise d’autres jugements, c’est-à-dire d’autres représentations abstraites. D’où il est facile de conclure qu’une vérité n’en peut jamais détruire une autre, mais que toutes doivent aboutir finalement à l’harmonie, car dans la réalité intuitive, leur base commune, aucune contradiction n’est possible. Aussi une vérité n’a-t-elle rien à craindre d’une autre vérité. C’est la tromperie et l’erreur qui ont à redouter toutes les vérités ; car grâce à l’enchaînement logique qui est entre elles, la plus éloignée exerce sur l’erreur un effet de répulsion. En conséquence, cette seconde loi de la pensée est le point par où la logique se rattache à ce qui n’est plus d’ordre logique, à ce qui est l’étoffe même de la pensée. Et cette harmonie des concepts, c’est-à-dire de la représentation abstraite, avec ce qui est donné dans la représentation intuitive, produit au point de vue de l’objet la vérité, au point de vue du sujet le savoir.

La copule « est », ou « n’est pas », a précisément pour fonction d’exprimer la réunion ou la séparation de deux sphères de concepts. Grâce à ces copules tout verbe peut être exprimé par le moyen de son participe. C’est pourquoi tout jugement consiste dans l’emploi d’un verbe et vice versa. La copule signifie donc uniquement que le prédicat doit être pensé dans le sujet. On voit aisément de là quelle est la vraie valeur de l’infinitif de la copule, du verbe « être ». Néanmoins ce mot « être » est devenu le thème favori de la philosophie de nos professeurs contemporains. Mais avec eux il ne faut pas y regarder de près : car la plupart n’entendent désigner par ce terme que les objets matériels, le monde des corps, monde auquel ces innocents réalistes accordent au fond du cœur la plus grande somme de réalité. Seulement il leur semble bien trop vulgaire de parler de corps ; aussi disent-ils « l’Être, » ce qui sonne bien plus noblement — et par ce mot « être » ils pensent les tables et les chaises qui se trouvent devant eux.

« Car, parce que, c’est pourquoi, donc, comme, quoique, sans doute, pourtant, mais, si, ou… ou », et autres termes de ce genre, sont proprement des particules logiques ; car leur seule fonction est d’exprimer le côté formel des processus de la pensée. Ces particules sont donc une partie précieuse du langage ; toutes les langues n’en possèdent pas un égal nombre. Le mot zwar (sans doute) principalement parait être la propriété exclusive de la langue allemande : il se rapporte toujours à un « mais » qui suit d’une manière expresse ou sous-entendue, de même que wenn (si) se rapporte toujours à un so[1] qui suit.

  1. En allemand une proposition conditionnelle, commençant par wenn, est suivie d’une proposition conséquente commençant par so ; ce so de la seconde proposition ne se rend pas en français. (Note du trad.)