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à propos de la logique en général

le temps de nous rappeler les règles. En un mot, elles n’enseignent que ce que chacun sait et met en pratique par lui-même. La connaissance abstraite n’en laisse pourtant pas d’être utile et importante. La logique n’aura guère d’utilité pratique, du moins pour le penser proprement dit. Car les défauts de notre raisonnement ne consistent presque jamais ni dans les conclusions, ni dans un autre vice de forme quelconque, mais bien plutôt dans les jugements, c’est-à-dire dans la matière du penser. Toutefois elle a son utilité au point de vue de la controverse : si nous nous trouvons en face d’un adversaire qui nous présente soit à dessein, soit inconsciemment, une argumentation fallacieuse, sous le manteau d’un discours orné et continu, nous pouvons la réduire à la forme rigoureuse de raisonnements soumis aux règles, et y découvrir de la sorte des fautes contre les prescriptions de la logique, telles que simple conversion de jugements affirmatifs universels, syllogismes à quatre termes, syllogismes allant de la conséquence au principe, syllogismes de la deuxième figure uniquement composés de prémisses affirmatives, etc.

Il me semble qu’on pourrait simplifier la théorie des lois de la pensée, en les ramenant à deux, celle du tiers exclu, et celle de la raison suffisante. La première se formulerait ainsi : « Un attribut quelconque doit être ou attribué ou refusé à un sujet quelconque ». De ce dilemme il résulte que les deux alternatives ne sont pas possibles à la fois, et c’est justement ce qu’affirment les lois de l’identité et de la contradiction : ces deux lois seraient donc les corollaires du principe susdit, suivant lequel deux sphères de concepts doivent être conçues ou comme réunies, ou comme séparées, mais non comme faisant la paire : principe suivant lequel par conséquent, chaque fois qu’un assemblage de mots implique à la fois le pour et le contre, la pensée qui y est contenue est inconcevable : voir qu’elle est inconcevable, c’est là précisément avoir le sentiment du contradictoire. — La deuxième loi de la pensée, le principe de la raison suffisante, énoncerait que cette attribution ou cette négation dont nous avons parlé doit être déterminée par quelque chose de différent du jugement lui-même, c’est-à-dire par une intuition — empirique ou pure — ou simplement par un jugement différent : cette chose autre et distincte est justement la raison du jugement. En tant qu’un jugement satisfait à la première loi de la pensée, il est concevable ; en tant qu’il satisfait à la seconde, il est vrai, vrai au moins au point de vue logique et formel, si la raison du jugement n’est elle aussi qu’un jugement. Mais en dernier ressort la vérité matérielle ou absolue n’est que le rapport entre un jugement et une intuition, c’est-à-dire entre la représentation abstraite et la représentation intuitive. Ou ce rapport est immédiat, ou il est obtenu