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critique de la philosophie kantienne

espèces se divise également à son tour en trois groupes ; et chacun de ces groupes est semblable à un œuf que la raison couve pour en faire naître une idée : du raisonnement dit catégorique sort l’idée de l’âme ; du raisonnement hypothétique sort l’idée du monde ; du raisonnement disjonctif sort l’idée de Dieu. Celle du milieu, l’idée du monde, ramène encore une fois la symétrie du tableau des catégories : ses quatre rubriques donnent lieu à quatre thèses, et chacune de ces thèses a pour pendant symétrique son autre thèse. La combinaison éminemment subtile qui a produit cet élégant échafaudage mérite sans doute toute notre admiration ; mais nous nous réservons d’en examiner à fond les bases et les parties. — Qu’on nous permette auparavant les quelques considérations suivantes.


Il est étonnant de voir à quel point Kant poursuit son chemin sans réfléchir davantage ; il se laisse guider par la symétrie ; il ordonne tout d’après elle, et jamais il ne considère en lui-même aucun des objets ainsi abordés. Je vais m’expliquer plus à fond. Pour la connaissance intuitive, il se contente de la considérer dans les mathématiques ; il néglige complètement une autre espèce de connaissance intuitive, celle qui, sous nos yeux, constitue le monde ; et il s’en tient à la pensée abstraite, bien que celle-ci tire toute son importance et toute sa valeur du monde intuitif, lequel est infiniment plus significatif, plus général, plus riche de contenu que la partie abstraite de notre connaissance. Il n’a même, et cela est capital, distingué nulle part d’une façon nette la connaissance intuitive et la connaissance abstraite ; et il s’est par le fait, comme nous le verrons plus tard, engagé dans des contradictions inextricables avec lui-même. Après s’être débarrassé de tout le monde sensible au moyen de cette formule vide : « Il est donné », il dresse, ainsi que nous l’avons dit, le tableau logique des jugements et il en fait la pierre angulaire de sa construction. Mais ici encore il ne réfléchit pas un instant à ce qui est en réalité actuellement devant lui. Les formes des jugements sont des mots et des assemblages de mots. Il fallait, à coup sûr, commencer par se demander ce que désignent directement ces mots et assemblages de mots : l’on aurait trouvé qu’ils désignent des concepts. La question suivante eût porté sur l’essence des concepts. En y répondant, l’on aurait déterminé quel rapport les concepts ont avec les représentations intuitives qui constituent le monde : alors la distinction eût été faite entre intuition et réflexion. Il eût fallu rechercher comment se produisent dans la conscience non seulement l’intuition pure et formelle a priori, mais aussi l’intuition empirique qui en est