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des rapports de l’intuitif et de l’abstrait

conseiller de lire ceux auxquels la postérité est revenue après coup car le temps est court et précieux.

Sans doute, et d’après tout ce que nous venons de dire, les concepts larges, abstraits, et surtout les concepts incapables d’être réalisés dans aucune intuition, ne peuvent jamais être la source de connaissance, le point de départ ou la véritable matière de la philosophie ; parfois cependant certains de ses résultats peuvent se présenter de telle façon, qu’on puisse les penser d’une manière purement abstraite, sans toutefois être capable de les vérifier par une intuition quelconque. Des connaissances de cette sorte ne sont assurément que des demi-connaissances ; elles n’indiquent en quelque sorte que l’endroit où se trouve l’objet à connaître, l’objet lui-même restant caché. Par suite, on ne doit se contenter de ce genre de concepts que dans les cas extrêmes, là où l’on touche aux limites de la connaissance accessible à nos moyens. Prenons si l’on veut pour type du genre le concept d’un être en dehors du temps ; rangeons-encore dans la même classe la proposition suivante : « l’impuissance de la mort à détruire notre être véritable ne nous en garantit point la subsistance ultérieure ». Avec de pareils concepts, on sent en quelque sorte chanceler le ferme terrain qui supporte toute notre connaissance : l’intuition. Voilà pourquoi, si la philosophie peut de temps en temps et en cas de nécessité recourir à de telles conceptions, jamais cependant elle ne doit s’en servir pour débuter.

Ainsi que nous le lui avons reproché, la philosophie dogmatique a toujours opéré sur des concepts étendus, négligeant complètement la connaissance intuitive, laquelle est pourtant la source des concepts, leur contrôle permanent et naturel ; telle fut en tous temps la cause principale des erreurs qu’elle a commises. Une science tirée de la simple comparaison des concepts, c’est-à-dire édifiée avec des propositions générales, ne peut être certaine, à moins que toutes ses propositions ne soient synthétiques à priori, comme c’est le cas dans les mathématiques, car il n’y a que les propositions synthétiques a priori qui ne souffrent aucune exception. Si au contraire les propositions ont quelque contenu empirique, on ne doit jamais perdre de vue ce contenu, afin de contrôler les propositions générales. En effet quelle que soit la vérité que l’on tire de l’expérience, cette vérité n’est jamais certaine ; par suite sa valeur générale n’est qu’approximative ; car, dans l’expérience, il n’y a point de règle sans exception. Je suppose que j’enchaîne les unes aux autres des propositions de cette sorte, sous prétexte que les sphères de leurs concepts peuvent rentrer les unes dans les autres ; il peut aisément se faire que le point de contact d’un concept avec un autre coïncide précisément avec ce qui constitue l’excep-