Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
de la connaissance rationnelle

toujours le fidèle représentant. Ainsi, nous ne conservons pas les fleurs, mais uniquement leur essence, avec tout son parfum et toute sa force. L’activité qui se guide sur des concepts rigoureux arrive, en somme, à réaliser la fin qu’elle s’était proposée. — Pour juger du prix inestimable des concepts et partant de la raison, il suffit de jeter un coup d’œil sur la foule immense d’objets divers et d’événements, qui se suivent et s’enchevêtrent autour de nous, et de songer que la langue et l’écriture (les signes des concepts) peuvent nous faire connaître exactement chaque chose et chaque rapport, quels que soient le temps et le lieu où ils ont existé. Car un nombre relativement restreint de concepts embrasse et représente l’infinité des choses et des événements. — Dans la réflexion proprement dite, on ne fait que jeter par-dessus bord tout le bagage inutile c’est ce qu’on appelle abstraire. On se rend ainsi plus facile le maniement des notions à comparer, c’est-à-dire à tourner et à retourner en tous sens. On laisse tomber tout le particulier, tout le changeant des objets réels, et l’on ne garde qu’un petit nombre de déterminations abstraites, mais générales. Mais comme les concepts généraux ne s’obtiennent qu’en éliminant certaines déterminations, et qu’ils sont en conséquence d’autant plus généraux qu’ils sont plus vides, l’emploi de ce procédé est limité à l’élaboration de notions déjà acquises, opération à laquelle se rattache le syllogisme, qui consiste à tirer des conclusions de prémisses contenues dans des concepts généraux. Si au contraire l’on veut apprendre quelque chose de nouveau, c’est à l’intuition qu’il faut recourir, comme à la source vraiment riche et féconde de nos connaissances. Comme d’autre part l’extension et la compréhension des idées générales sont en rapport inverse, et que plus on pense sous un concept, moins il contient, il y a une hiérarchie des concepts qui va des plus particuliers jusqu’aux plus généraux. Suivant qu’on envisage l’extrémité supérieure ou inférieure de la chaîne, le réalisme scholastique et le nominalisme ne sont pas loin d’avoir tous deux raison. Car le concept le plus particulier et presque déjà l’Individu, est quasi réel ; et le concept le plus général, par exemple l’être (l’infinitif de la copule), n’est presque plus qu’un mot. Aussi les systèmes philosophiques qui s’en tiennent aux concepts généraux, sans revenir au réel, ne sont presque que des jeux de mots. Si en effet l’abstraction consiste simplement à éliminer, plus on la poursuit, moins on garde de réalité. Aussi quand il me tombe sous les yeux de ces philosophèmes à la mode, qui se déroulent en abstractions sans fin, il m’est presque impossible, malgré l’attention que j’y apporte, de penser quoi que ce soit là-dessous je n’y trouve plus la substance de la pensée, mais je ne sais quelle forme creuse. C’est comme lorsqu’on