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critique de la philosophie kantienne

sairement à nous comme un problème. Pour Kant (notons qu’il admet tout cela sans démonstration), ce n’est pas en comprenant à fond le monde lui-même qu’on peut obtenir la solution du problème ; on doit au contraire chercher cette solution dans quelque chose de tout à fait étranger au monde (tel est, en effet, le sens de l’expression : « au delà de toute expérience possible ») ; dans la recherche de la solution on doit exclure toute donnée dont on puisse avoir une connaissance immédiate quelconque (car qui dit « connaissance immédiate » dit expérience possible interne ou externe) ; la solution ne doit être cherchée que d’après des données acquises indirectement, c’est-à-dire déduites de principes généraux a priori. Cela revient à exclure la source principale de toute connaissance et à condamner la seule voie qui conduise à la vérité. Dès lors, il n’est pas étonnant que les essais dogmatiques ne réussissent point ; il n’est pas étonnant non plus que Kant ait su démontrer la nécessité de leur échec : en effet, on avait, au préalable, déclaré que « métaphysique » et « connaissance a priori » étaient identiques. Mais pour cela il aurait fallu commencer par démontrer que les éléments nécessaires pour résoudre le problème du monde ne devaient absolument pas faire partie du monde lui-même, qu’on devait au contraire les chercher en dehors du monde, là où il est impossible d’arriver sans le secours des formes a priori de notre entendement. Tant que ce dernier point reste indémontré, nous n’avons aucune raison pour récuser, dans le plus important et le plus grave de tous les problèmes, la plus féconde et la plus riche des sources de notre connaissance, je veux dire l’expérience interne et externe, et pour n’opérer dans nos spéculations qu’à l’aide de formes dépourvues de contenu. Voilà pourquoi je prétends que c’est en acquérant l’intelligence du monde lui-même que l’on arrive à résoudre le problème du monde ; ainsi le devoir de la métaphysique n’est point de passer par-dessus l’expérience, en laquelle seule consiste le monde, mais au contraire d’arriver à comprendre à fond l’expérience, attendu que l’expérience, externe et interne, est sans contredit la source principale de la connaissance ; si donc il est possible de résoudre le problème du monde, c’est à la condition de combiner convenablement et dans la mesure voulue l’expérience externe avec l’expérience interne, et par le fait d’unir ensemble ces deux sources de connaissance si différentes l’une de l’autre. Néanmoins cette solution n’est possible que dans de certaines limites, limites inséparables de notre nature finie : nous acquérons une intelligence exacte du monde lui-même, mais nous n’arrivons point à donner une explication définitive de son existence, ni à supprimer les problèmes d’au-delà. En résumé, il est une limite où l’on doit s’arrêter ; ma méthode tient le milieu entre la vieille doctrine dogmatique qui