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théorie de la représentation intuitive

l’hydrogène dans l’eau. Ce qui prouve que l’impénétrabilité et la pesanteur sont étroitement unies, c’est qu’il est impossible de les séparer empiriquement, bien qu’on le puisse par la pensée ; car jamais l’une ne se présente sans l’autre.

Je dois dire cependant que cette doctrine de Kant, qui se retrouve dans l’idée fondamentale de la seconde division de ses Éléments métaphysiques de la science de la nature, c’est-à-dire dans sa dynamique, avait déjà été nettement exposée et en détail, avant Kant, par Priestley, dans son excellent ouvrage Disquisitions on matter and spirit (sect. 1. et 2). Ce livre parut en 1777, et il eut une seconde édition en 1782, tandis que les Éléments métaphysiques sont de 1786. On peut supposer des réminiscences inconscientes, quand il s’agit d’idées secondaires, ou simplement d’allusions spirituelles, de comparaisons, etc., mais non pas, quand il s’agit d’une pensée capitale, fondamentale. Faut-il croire que Kant se soit approprié, sans le dire, une idée étrangère aussi importante ? L’a-t-il prise dans un livre, qui était alors encore tout nouveau ? Ou bien supposerons-nous que ce livre lui était inconnu, et qu’une même idée a jailli presque simultanément dans deux têtes différentes ? On peut trouver aussi dans la Théorie de la génération de Gaspar Frédéric Wollf (Berlin, 1764, p. 132) l’explication que donne Kant de la différence propre de la fixité et de la mobilité dans les Éléments métaphysiques de la science de la nature (première édition, p. 88, édit. de Rosenkranz). Mais qu’allons-nous dire, en trouvant la théorie kantienne, si capitale et si brillante, de l’idéalité de l’espace, et de l’existence purement phénoménale du monde des corps, exprimée déjà trente ans auparavant par Maupertuis ? (Voir Lettres de Frauenstœdt sur ma philosophie, Lettre XIV). Maupertuis exposa cette théorie paradoxale, d’une façon si catégorique, sans toutefois y adjoindre de preuve, qu’on peut le soupçonner de l’avoir prise ailleurs. Il serait à désirer qu’on éclaircît davantage ce mystère, et comme la question exige de longues et pénibles recherches, une de nos académies allemandes devrait bien la mettre au concours. Laplace est à Kant ce que celui-ci est à Priestley, peut-être à Gaspar Wollf et à Maupertuis, ou à son prédécesseur : sa théorie si juste et si admirable sur l’origine du système planétaire, développée dans l’Exposition du système du monde (Liv. V, c. u), se trouve déjà, pour l’essentiel, dans l’Histoire de la nature et la Théorie du ciel, de Kant, qui parut environ cinquante ans auparavant, en 1755. En 1763, dans sa Seule preuve possible de l’existence de Dieu, ch. vii, il en a donné une exposition plus parfaite. Et comme il nous laisse entendre, dans ce dernier écrit, que Lambert, dans ses Lettres cosmologiques (1761), lui a emprunté sans gêne cette théorie ; et que d’autre part ces lettres parurent en français vers le même temps (Lettres cosmolo-