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le monde comme volonté et comme représentation

liste ou au point de vue idéaliste ; notons cependant qu’en dernière instance, c’est celui-ci qui est le vrai. Je me suis déjà expliqué là-dessus dans le premier chapitre, mais je veux éclaircir encore ce point par un exemple spécial. Le livre d’Aristote de Xenophane, commence par ces mots importants du même Xénophane : Αιδιον ειναι φησιν, ει τι εστιν, ειπερ μη ενδεχεται γενεσθαι μηδεν εκ μηδενος (Æternum esse inquit quidquid est, siquidem fieri non potest, ut ex nihilo quipiam existat). Ici Xénophane prononce un jugement sur l’origine possible des choses il ne peut là-dessus se référer à l’expérience, pas même par analogie : aussi n’en fait-il intervenir aucune, mais juge-t-il d’une manière apodictique, c’est-à-dire a priori. Comment le peut-il, lui qui regarde du dehors et en étranger un monde donné purement objectif, c’est-à-dire indépendant de la pensée ? Comment peut-il, lui un éphémère fugitif, qui ne peut jeter qu’un coup d’œil rapide sur ce monde, prononcer au préalable, sans aucune expérience, un jugement apodictique sur le monde et sur la possibilité de son existence et de son origine ? Le mot de cette énigme est qu’ici l’homme n’a affaire qu’à ses propres représentations, qui, comme telles, sont l’œuvre de son cerveau, dont la loi n’est que la manière dont ses fonctions cérébrales peuvent s’accomplir, c’est-à-dire la forme de sa représentation. Il ne se prononce donc que sur un phénomène du cerveau qui lui appartient en propre, et il se borne à formuler ce qui entre ou n’entre pas dans ses formes, l’espace, le temps et la cause là, il est parfaitement chez lui et parle d’une manière apodictique. C’est dans le même sens qu’il faut prendre la table suivante des Prædicabilia a priori du temps, de l’espace, et de la matière.