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sur la connaissance a priori

« Mais pourquoi pas plus tôt ? pourquoi ce commencement recule-t-il sans cesse, et si haut, qu’il est impossible en. partant de lui d’arriver au présent, et qu’on s’étonne toujours de ce que le présent n’ait pas eu lieu il y a des millions d’années ? » Ainsi, en général, la loi de causalité peut être appliquée à tous les objets de l’univers, mais non pas à l’univers lui-même, car elle est immanente au monde et non pas transcendante ; elle est donnée avec lui avec lui elle disparaît ; et cela parce qu’elle est une pure forme de notre entendement, et qu’elle est conditionnée par lui comme tout le reste du monde, qui pour ce motif n’est qu’un simple phénomène. Ainsi donc la loi de causalité est applicable, sans exception, à tous les objets existants (au point de vue formel, cela va sans dire) et aux vicissitudes de ces formes, c’est-à-dire à leurs modifications. Elle est valable pour l’action de l’homme, comme pour le choc de la pierre, mais toujours, comme nous l’avons dit, par rapport a des événements, à des changements. Si maintenant nous laissons de côté son origine dans l’entendement, et si nous la considérons d’une façon purement objective, elle repose en dernière analyse sur ce fait, que tout être agissant agit en vertu de sa force originelle, c’est-à-dire éternelle, en dehors du temps, et que par conséquent son action actuelle aurait dû se produire infiniment plus tôt, avant tout temps imaginable, si la condition de temps ne lui avait pas manqué pour cela : elle est l’occasion, c’est-à-dire la cause en vertu de laquelle cette action se produit seulement maintenant, mais d’une façon nécessaire ; elle lui assigne sa place dans le temps.

C’est pour avoir donné, comme nous l’avons fait voir, une extension trop large au concept de cause, dans la pensée abstraite, que l’on a confondu avec lui le concept de force : celle-ci, quoique différant absolument de la cause, est cependant ce qui procure à chaque cause sa causalité, c’est-à-dire sa possibilité d’agir, ainsi que je l’ai exposé tout au long dans le 2e livre du 1er vol., plus tard dans la Volonté dans la nature, et enfin dans la 2e édition de mon Traité sur le principe de raison, 20, p. 44. Cette confusion éclate de la façon la plus grossière dans l’ouvrage de Maine de Biran dont j’ai parlé (pour plus de détails, cf. le dernier passage cité) ; mais elle est fréquente partout, comme par exemple lorsqu’on demande la cause de quelque force primitive, comme la pesanteur. Kant lui-même (Sur la seule preuve possible, VII, p. 211 et 215, édit. de Rosenkranz) nomme les forces naturelles des causes agissantes, et dit que « la pesanteur est une cause ». Il est pourtant impossible de voir clair dans notre propre pensée, tant qu’on ne distingue pas d’une façon expresse et absolue la force d’avec la cause. Mais l’emploi de concepts abstraits conduit très facilement à cette confusion, quand on cesse de considérer leur origine. On laisse de