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le monde comme volonté et comme représentation

La doctrine de Hume, qui professe que le principe de causalité résulte simplement de l’habitude de voir deux objets en succession constante, est réfutée matériellement par la plus ancienne de toutes les successions, celle du jour et de la nuit, que personne n’a jamais regardés comme étant cause et effet l’un de l’autre. Cette même succession réfute aussi l’assertion fausse de Kant, qui voudrait que la réalité objective de la succession ne fût connue qu’autant qu’on perçoit les deux phénomènes successifs en rapport de cause à effet l’un avec l’autre. De cette théorie de Kant, c’est tout justement le contraire qui est vrai, c’est-à-dire que nous ne voyons qu’à leur succession, d’une façon tout empirique, lequel des deux phénomènes est cause, et lequel effet. D’autre part, il faut rejeter l’absurde opinion de certains professeurs de philosophie de nos jours qui soutiennent que la cause et l’effet sont simultanés : là contre, il suffit d’invoquer ce fait que, dans les cas où la succession ne peut être perçue à cause de sa rapidité, nous la supposons cependant, en toute sécurité, et avec elle, l’écoulement d’un certain laps de temps : par exemple, nous savons qu’entre la pression de la gachette et la sortie de la balle un certain temps doit s’écouler, bien que nous ne puissions l’apprécier, et que ce même temps doit être partagé entre plusieurs phénomènes se succédant dans un espace très restreint, c’est-à-dire la pression de la gachette, l’étincelle, l’allumage de la poudre le développement de la flamme, l’explosion, et la poussée de la balle. Jamais cette succession de phénomènes n’a pu être perçue mais comme nous savons celui des deux qui agit sur l’autre, nous savons par le fait même celui des deux qui doit précéder l’autre dans le temps, et conséquemment que pendant le cours de toute la série un certain laps de temps s’écoule, bien qu’il échappe à l’appréciation empirique. Car personne ne soutiendra que la sortie de la balle et la pression de la gachette soient réellement simultanées. Ainsi donc, ce n’est pas seulement la loi de causalité, mais son rapport avec le temps, et la nécessité de la succession de cause à effet, qui nous est connue a priori. Si nous savons distinguer, entre deux phénomènes, la cause et l’effet, nous savons aussi distinguer l’antécédent et le conséquent ; mais si au contraire nous ignorons quel est le phénomène cause, et le phénomène effet, tout en sachant qu’il existe entre eux un lien causal, alors nous cherchons empiriquement à découvrir la succession et à déterminer par là lequel des deux est la cause, et lequel est l’effet. La fausseté de l’opinion qui fait de la cause et de l’effet deux phénomènes simultanés, ressort nettement encore des considérations suivantes : une chaîne ininterrompue de causes et d’effets remplit la totalité du temps (car si elle était interrompue, le monde s’arrêterait, ou bien il faudrait, pour le remettre en mouvement, admettre