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théorie de la représentation intuitive

impressions du cerveau ; elles ne donnent pas simplement à l’âme des idées des choses ; mais elles placent réellement devant elle les objets, qui existent au dehors, quoiqu’on ne puisse pas comprendre comment cela se fait. Cette assertion est confirmée par ce qui suit. Quoique nous employions, ainsi que je l’ai suffisamment démontré, cette loi de causalité dont nous avons conscience a priori, comme un moyen dans l’intuition, cependant nous n’avons pas une conscience claire, dans la vision, de l’acte de l’entendement moyennant lequel nous passons de l’effet à la cause ; c’est pourquoi l’impression sensible ne se distingue pas de la représentation que l’entendement extrait de l’impression prise par lui pour matière brute. On peut encore moins saisir dans la conscience une différence qui d’une manière générale n’existe pas, entre la représentation et son objet ; mais nous percevons immédiatement les choses elles-mêmes, comme situées en dehors de nous ; quoiqu’il soit certain que la sensation seule peut être immédiate, et qu’elle est limitée à notre épiderme. Cela s’explique par ce fait que l’extérieur est exclusivement une détermination de l’espace, et que l’espace lui-même est une forme de notre faculté d’intuition, c’est-à-dire une fonction du cerveau. C’est pourquoi l’extérieur, où nous situons les objets, à la suite des sensations visuelles, gît à l’extérieur de notre tête : c’est là toute la scène où il se développe, à peu près comme au théâtre nous voyons des montagnes, des bois, la mer, et cependant tout cela n’est qu’en décors. On comprend dès lors que nous ayons une représentation des choses conditionnée par l’extérieur, et cependant immédiate, bien loin de nous représenter intérieurement des choses, qui en réalité existeraient extérieurement. Car, dans l’espace, et par conséquent en dehors de nous, les choses n’existent qu’autant que nous nous les représentons. Aussi ces choses dont nous avons une intuition en quelque sorte immédiate, non pas simplement une copie, ne sont elles-mêmes que des représentations, et comme telles n’existent que dans notre tête. Il ne faut donc pas dire, avec Euler, que nous avons l’intuition des choses elles-mêmes, situées en dehors de nous ; mais bien plutôt que les choses dont nous avons l’intuition comme situées en dehors de nous, ne sont que nos représentations, et partant nos perceptions immédiates. La remarque si juste d’Euler que nous avons citée plus haut dans ses propres termes, confirme donc l’esthétique transcendentale de Kant, de même que notre propre théorie de l’intuition qui s’appuie sur elle, et en général toute espèce d’idéalisme. L’absence d’intermédiaire et l’inconscience que nous avons indiquée tout à l’heure et où nous avons vu, pour l’intuition, le passage de la sensation à sa cause, s’expliquent par un processus analogue, qui se passe dans la représentation abstraite, ou dans la