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le point de vue idéaliste

Comme conclusion naturelle de ces considérations aussi importantes que délicates, je veux personnifier ces deux abstractions (la matière et le sujet), et les faire dialoguer entre elles, à l’exemple de Prabodha Tschandro Daya on peut rapprocher de ceci un dialogue semblable entre la matière et la forme dans les Duodecim principia philosophiæ de Raymond Lulle (chap. 2).

LE SUJET

je suis, et en dehors de moi, rien n’est. Car le monde est ma représentation.

LA MATIÈRE

Illusion téméraire ! C’est moi, moi qui suis : en dehors de moi, rien n’existe. Car le monde est ma forme passagère. Tu n’es que le résultat d’une partie de cette forme, ton existence n’est qu’un pur hasard.

LE SUJET

Quelle sotte outrecuidance ! Ni toi, ni ta forme n’existeriez sans moi : vous êtes conditionnés par moi. Quiconque me néglige et croit encore pouvoir penser, est le jouet d’une grossière illusion : car votre existence, en dehors de ma représentation, est une contradiction formelle, c’est un « fer-en-bois » vous êtes veut dire simplement que vous êtes représentés en moi. Ma représentation est le lieu de votre existence, et ainsi j’en suis la première condition.

LA MATIÈRE

Par bonheur, l’insolence de tes prétentions va être rabattue non par de simples mots, mais par la réalité même. Encore quelques instants et tu n’existes plus, tu t’évanouis avec tes beaux discours, tu disparais comme une ombre, tu as le même destin que mes formes éphémères. Mais moi, je demeure intacte, jamais amoindrie, de milliers de siècles en milliers de siècles, à travers le temps infini, et j’assiste immuable au mouvement éternel de mes formes.

LE SUJET

Ce temps infini, à travers lequel tu te vantes d’exister, comme l’espace infini, que tu remplis, n’existe que dans ma représentation, n’en est que la forme, que je porte toujours prête, dans laquelle tu te représentes, qui t’embrasse, et par laquelle tu existes. L’anéantissement dont tu me menaces ne m’atteint pas ; c’est toi qui dis-