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théorie de la représentation intuitive

mot qu’ils sont proprement une seule et même chose, considérée sous deux points de vue opposés et que cette unité, — ici j’anticipe —, est le phénomène de la Volonté ou de la chose en soi ; que par conséquent tous deux sont secondaires, et que par suite encore il ne faut chercher l’origine du monde ni dans l’un, ni dans l’autre. Mais tous les systèmes qui méconnaissent cette vérité sont amenés à chercher l’origine de toutes choses dans l’un de ces deux principes, excepté peut-être le spinozisme. Les uns posent un Intellect, un νους, comme premier principe et comme démiurge, et ils imaginent ensuite, au sein de l’Intellect, une représentation des choses et du monde, avant même qu’ils existent ; ils séparent donc le monde réel du monde comme représentation, ce qui est faux. Et alors la matière, — c’est-à-dire le principe par où les deux mondes se distinguent — apparaît comme une chose en soi. De là résulte la nécessité de créer cette matière, υλη, pour l’ajouter à la simple représentation du monde, et lui communiquer quelque chose de sa réalité. Et ainsi il faut supposer, ou bien que cet Intellect primordial la trouve toute faite, en face de lui, ce qui en fait un absolu comme l’Intellect, et ce qui nous donne deux principes absolus, la matière et le démiurge ; ou bien, que l’Intellect crée la matière ex nihilo, hypothèse qui est en contradiction avec notre entendement, lequel peut bien comprendre des changements au sein de la matière, mais non sa naissance ou sa destruction absolue. Et au fond cela vient justement de ce que la matière est le corrélat essentiel de l’Intellect. — Les systèmes opposés à ceux-là, ceux qui font de l’autre terme de la relation, la matière, leur premier principe absolu, posent une matière qui existerait, même sans être représentée, ce qui est une contradiction formelle comme nous l’avons suffisamment montré plus haut : parce que sous le concept d’existence de la matière, nous ne mettons jamais que celui de son mode de représentation. Mais alors se pose la nécessité, pour ces systèmes, d’ajouter l’Intellect à cette matière, qui est leur unique absolu, afin de rendre possible l’expérience. J’ai esquissé dans le chapitre 7 du premier volume ce résumé du matérialisme. Chez moi, au contraire, la matière et l’Intellect sont des corrélatifs indissolubles ; ils n’existent que l’un pour l’autre ; ils sont donc relatifs. La matière est la représentation de l’Intellect ; l’Intellect est la seule chose, dans la représentation de qui la matière existe. Tous les deux réunis forment le monde comme représentation, c’est-à-dire le phénomène de Kant, donc quelque chose de secondaire. La chose première est ce qui apparaît, la chose en soi, en qui nous apprendrons à reconnaître la Volonté. Celle-ci n’est en soi ni représentant, ni représentée ; elle se distingue absolument de son mode de représentation.