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théorie de la représentation intuitive

se donne pour ce qu’il est, et tient immédiatement ses promesses. Il faut rappeler que le Jacobi qui imagina ce système sur le monde, et qui parvint à l’imposer à quelques professeurs de philosophie, lesquels, pendant trente années, l’ont complaisamment et largement développé, était le même, qui dénonça Lessing comme spinoziste, et Schelling comme athée ; ce qui lui valut, ainsi que chacun sait, d’être vertement tancé par ce dernier. C’est ce beau zèle qui le poussa, en réduisant le monde à n’être qu’un objet de croyance, à ouvrir une petite porte à la foi, et à préparer le crédit pour ce qui, dans la suite, sera réellement exigé de l’homme à crédit ; c’est comme si, pour introduire le papier monnaie, on mettait en avant cette excuse, que la valeur de l’or repose tout entière sur l’estampille que l’État y appose. Jacobi, dans ses philosophèmes sur la réalité du monde extérieur devenue affaire de foi, est tout justement ce « réaliste transcendental, qui joue l’idéaliste empirique », dont Kant a fait la critique dans la Raison pure (1re édit., p. 369).

Le véritable idéalisme au contraire n’est pas l’idéalisme empirique, mais l’idéalisme transcendental. Celui-ci ne s’occupe pas de la réalité du monde extérieur il se borne à soutenir que tout objet et par conséquent toute réalité empirique en général, est doublement conditionné par ce sujet : d’abord matériellement, c’est-à-dire en tant qu’objet, attendu qu’une existence objective ne se conçoit que par rapport à un sujet, et en tant qu’elle est sa représentation ; ensuite formellement, en ce que le genre d’existence des objets, ou leur manière d’être représentés (espace, temps, cause) provient d’un sujet, est disposée d’avance dans un sujet. Ainsi la conclusion naturelle de l’idéalisme simple de Berkeley, qui concerne uniquement l’objet, est l’idéalisme de Kant, qui concerne le genre et la forme spéciale de l’existence objective. Ce système démontre que l’univers matériel tout entier, avec ses corps dans l’espace, lesquels sont étendus, et, grâce au temps, ont les uns avec les autres des rapports de causalité, en un mot que tout ce qui en dépend, n’a pas une existence indépendante de notre tête ; mais que tout cela a son principe dans les fonctions de notre cerveau. C’est grâce à ces fonctions, et c’est dans le cerveau seul que cette ordonnance objective des choses est possible ; car le temps, l’espace et la causalité, sur lesquels reposent tous ces processus objectifs, ne sont en effet que des fonctions du cerveau. Enfin il démontre que cet ordre immuable des choses, qui est le critérium et le fil conducteur de la réalité empirique, procède du cerveau et tient de lui tout son crédit. Tel est l’exposé de la critique radicale de Kant, sauf que le mot « cerveau » n’y intervient pas, qu’il est remplace par « la faculté de connaître ».