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le point de vue idéaliste

çue, représentée, c’est-à-dire une existence pour un autre. En réalité, c’est un phénomène du cerveau, que ce cerveau dans lequel ce phénomène se produit soit le mien ou celui d’une autre personne. Dans le premier cas, la personne se divise en connaissant et en connu, en sujet et en objet, qui là, comme partout, sont juxtaposés, sans pouvoir être absolument réunis ou absolument séparés. Si maintenant ma propre personne, pour exister comme telle, a toujours besoin d’un sujet connaissant, cela est au moins aussi vrai de tous les autres objets, à qui le but de l’objection précédente était précisément d’attribuer une existence indépendante de la connaissance et de son sujet.

On comprend dès lors que l’existence qui est conditionnée par un sujet connaissant, n’est que l’existence dans l’espace, par conséquent la connaissance de quelque chose d’étendu et d’actif : c’est toujours une existence connue, c’est-à-dire une existence pour un autre. En revanche, toute chose qui existe de cette façon peut en outre avoir une existence en soi, pour laquelle il n’est pas besoin d’un sujet ; mais cette existence ne peut être ni étendue ni activité (c’est-à-dire être dans l’espace), il faut nécessairement que son essence soit d’une autre sorte : c’est l’essence d’une chose en soi, qui, comme telle, ne peut jamais être objet. Telle serait la réponse que l’on pourrait faire à l’objection mentionnée plus haut. Elle n’infirme en rien cette vérité fondamentale, que le monde objectif n’existe qu’en représentation, c’est-à-dire uniquement pour un sujet.

Remarquons encore ici que Kant, du moins en tant qu’il est resté conséquent avec lui-même, ne voyait pas des objets dans ses choses en soi. On peut le conclure des arguments, par lesquels il a prouvé, que l’espace et le temps ne sont que de simples formes de notre intuition, lesquelles par conséquent n’appartiennent pas aux choses en soi. Ce qui ni dans l’espace, ni dans le temps ne saurait être un objet, par conséquent l’essence des choses en soi, ne peut être objective, elle doit être d’une autre sorte, je veux dire métaphysique. Il y a donc déjà dans cette proposition de Kant cet autre principe que le monde objectif n’existe que comme représentation.

Aucune doctrine ne défie la contradiction, et d’autre part n’est exposée à de perpétuels malentendus, comme l’idéalisme, qui va jusqu’à nier la réalité empirique du monde extérieur. Par là s’expliquent ces appels constants à la saine raison, qui se reproduisent de tant de façons et sous des costumes si différents, comme par exemple « la conviction intérieure dans l’École de Duns Scot, ou la Foi à la réalité du monde extérieur chez Jacobi. En réalité, le monde extérieur ne nous est pas donné à crédit, comme le prétend Jacobi, et nous n’y croyons pas simplement par un acte de foi : il