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théorie de la représentation intuitive

proposait, c’est-à-dire uniquement la démarche d’un sujet connaissant, qui se représente un monde objectif, en d’autres termes, c’est ce qu’on se proposait d’exclure. — Ce monde réel, intuitif, est manifestement un phénomène du cerveau c’est pourquoi l’hypothèse qu’il puisse y avoir un monde, en tant que tel, en dehors de tout cerveau, est contradictoire.

L’objection qui s’élève consciemment ou non dans l’esprit de chacun contre cette idéalité essentielle et nécessaire de tout objet est la suivante : Mais ma personne aussi est un objet pour une autre personne ; elle est donc une simple représentation ; et pourtant je sais certainement que j’existe, et que je n’ai besoin de personne pour exister ; tous les autres objets sont dans le même rapport que moi-même avec le sujet connaissant ; donc ils existeraient encore, quand bien même le sujet connaissant disparaîtrait. À cela il y aurait à répondre : Cet autre, dont je considère ma personne comme l’objet, n’est pas seulement le sujet, mais encore un individu connaissant. C’est pourquoi si cet autre n’existait pas, et si j’étais le seul être connaissant, je n’existerais pas moins comme le sujet, qui seul permet aux objets d’exister dans sa représentation. Car je suis sujet, comme tout être connaissant est sujet. Par conséquent, dans le cas que nous supposons, ma personne existerait encore de toute façon, mais comme représentation, c’est-à-dire dans ma propre connaissance. Je ne la connais jamais immédiatement, mais toujours d’une façon médiate : puisque tout ce qui est dans la représentation est toujours médiat. Ainsi, je ne connais mon corps comme objet, c’est-à-dire comme étendu, remplissant l’espace et agissant, que dans une représentation de mon cerveau ; cette intuition se produit au moyen des sens et ce sont leurs données qui permettent au cerveau d’accomplir sa fonction, c’est-à-dire de remonter de l’effet à la cause : de cette façon, en voyant le corps par les yeux, en le touchant par les mains, on construit dans l’espace une figure qui se représente comme notre corps. Mais aucune espèce d’étendue, de forme ou d’activité ne m’est immédiatement donnée dans je ne sais quel sentiment général du corps, ou conscience intime, donnée qui cadrerait avec mon être, lequel n’aurait pas besoin, pour exister ainsi, d’être représenté dans un sujet connaissant. Bien plus, ce sentiment général, comme aussi ma conscience, n’existent immédiatement qu’en rapport avec la volonté, c’est-à-dire en tant qu’agréables ou désagréables, et en tant qu’actifs dans les actes de la volonté, qui sont représentés dans l’intuition extérieure comme des actes du corps. Il en résulte que l’existence de ma personne ou de mon corps, en tant qu’étendu et actif, suppose toujours un sujet connaissant qui en diffère, puisque c’est toujours une existence per-