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critique de la philosophie kantienne

comme celle-ci, une méthode générale d’investigation, mais encore elle nous fait faire une partie du véritable chemin, à tel point, que si elle ne donne pas la solution vraie du problème, elle s’en rapproche du moins beaucoup.

C’est dans la critique du jugement téléologique que se révèle avec plus de netteté que partout ailleurs, à cause de la grande simplicité de la matière, le rare talent de Kant à tourner une idée en tous sens, et à en donner des expressions variées, jusqu’à ce qu’il en sorte un livre. Tout l’ouvrage se réduit à ceci : Bien que les corps organisés nous apparaissent nécessairement comme soumis, dans leur structure, à un concept préalable de finalité, rien ne nous autorise cependant à regarder cette finalité comme objective. Car notre intellect, auquel les choses sont données du dehors et d’une façon médiate, qui par conséquent n’en connaît jamais l’essence intime, par quoi elles naissent et subsistent, mais uniquement l’enveloppe extérieure, notre intellect, dis-je, ne peut jamais saisir que par analogie l’essence particulière aux produits de la nature organique : il les compare aux œuvres de l’industrie humaine, qui, dans leur essence, sont déterminées par une fin et par un concept correspondant à cette fin. Cette analogie est suffisante pour nous faire saisir la conformité de toutes les parties au tout, et pour nous donner un fil conducteur dans les recherches que nous pourrons faire, mais elle ne peut en aucune façon nous expliquer réellement l’origine et l’existence des corps. Car la nécessité de les concevoir comme soumis au principe de finalité est d’origine subjective. C’est à peu près ainsi que je résumerais la doctrine de Kant sur le jugement téléologique. En ce qu’elle a d’essentiel, il l’avait déjà exposée dans la Critique de la raison pure (pp. 692-702) ; mais ici encore, nous trouvons que David Hume a été le glorieux précurseur de Kant dans la connaissance de cette vérité. Lui aussi, il a discuté avec sa pénétration habituelle, la conception téléologique, dans la seconde partie de ses Dialogues concerning the natural religion. La différence essentielle qu’il y a entre la critique de Hume et celle de Kant, c’est que Hume donne cette conception comme ayant son fondement dans l’expérience, et que Kant au contraire la critique comme une idée a priori. Tous deux ont raison, et leurs explications se complètent mutuellement. Que dis-je ? pour l’essentiel, on trouve déjà la doctrine de Kant à ce sujet exprimée dans le commentaire de Simplicius sur la Physique d’Aristote : η δε πλανη γεγονε αυτοις απο του ηγεισθαι, παντα τα ενεικα του γιγνομενα κατα προαιρεσιν γενεσθαι και λογισμον, τα δε φυσει μη ουτως οραν γινομενα. Error in eis ortus est, ex eo, quod credebant omnia quæ propter finem aliquem fierent, ex proposito et ratiocinio fieri, dum videbant naturæ opera non ita fieri. (Schol. in Arist. ex edit. Berol., 354.) Là-dessus, Kant a parfaitement