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critique de la philosophie kantienne

L’amour de Kant pour la symétrie architectonique se rencontre donc dans la Critique de la raison pratique également. Elle est taillée sur le même patron que la Critique de la raison pure, les mêmes titres, les mêmes formes y sont transportés, d’une manière évidemment arbitraire ; la table des catégories de la liberté en est surtout une preuve frappante.


La Théorie du droit est une des dernières œuvres de Kant et une œuvre tellement faible que je ne crois pas nécessaire de la combattre, bien que je la désapprouve entièrement. Il semble qu’elle ne soit pas l’œuvre de ce grand homme, mais le produit d’un mortel ordinaire, et sa propre faiblesse la fera mourir de mort naturelle. Au sujet du droit je laisse donc de côté la partie polémique, pour ne m’attacher qu’au côté positif, c’est-à-dire aux traits fondamentaux de cette science, traits qu’on trouvera dans notre quatrième livre. Qu’on me permette seulement quelques remarques générales sur les théories du droit de Kant. Les défauts que, dans mon appréciation de la Critique de la raison pure, j’ai relevés comme inhérents au génie de Kant, se rencontrent dans la Théorie du droit avec une telle abondance que souvent on croit lire une parodie satirique de la manière kantienne, ou du moins entendre un Kantien. Voici deux de ses défauts principaux : Kant prétend (et beaucoup l’ont tenté depuis) séparer rigoureusement le droit de l’éthique, et toutefois il ne veut pas faire dépendre le droit de la législation positive, c’est-à-dire d’une contrainte arbitraire, mais laisser subsister en soi a priori le concept du droit. Cela est impossible ; car l’activité, en dehors de sa valeur morale, en dehors de son influence physique sur autrui, laquelle rend possible la contrainte arbitraire, n’admet pas une troisième manière d’être. Aussi, lorsque Kant dit : « Le devoir de droit est celui qui peut être imposé par force » ; ou bien ce peut doit s’entendre au sens physique, et alors tout droit est positif et arbitraire, et réciproquement toute volonté qui s’impose est droit ; ou bien ce peut doit s’entendre au sens moral, et nous voilà revenus sur le domaine de la morale. Chez Kant le concept du droit flotte entre ciel et terre, il ne saurait prendre pied sur le sol ferme ; pour moi, le concept du droit relève de la morale. En second lieu, sa détermination du concept du droit est tout à fait négative et par conséquent insuffisante. « On appelle droit ce qui s’accorde avec l’existence simultanée des diverses libertés individuelles d’après une loi générale. » La liberté (c’est-à-dire la liberté empirique, physique, non la liberté morale de la volonté) consiste à ne pas être gêné, entravé, c’est donc une