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le monde comme volonté et comme représentation

certaine récompense, repose sur un égoïsme prudent, méthodique et prévoyant.

Le contenu du devoir absolu, la loi fondamentale de la raison pratique est le fameux : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours être considérée comme le principe d’une législation générale ». — Ce principe charge celui qui cherche un régulateur de sa volonté propre d’en trouver également un pour celle des autres. — On se demande ensuite comment un tel régulateur peut être trouvé. Pour découvrir la règle de ma conduite, je ne dois pas seulement avoir égard à moi, mais à l’ensemble des individus. C’est-à-dire que ma fin, au lieu d’être mon bien propre, est le bien de tous sans distinction. Mais il est toujours question de bien. Et en ce cas je trouve que le bien de tous ne sera atteint qu’autant que chacun posera son égoïsme comme borne à celui des autres. Sans doute il suit de là que je ne dois nuire à personne, puisque l’adoption universelle de ce principe fait qu’on ne me nuit pas non plus ; mais c’est uniquement à cause de cet avantage personnel que moi, qui suis à la recherche d’un principe moral que je ne possède pas encore, je souhaite la transformation du principe dont il s’agit en loi universelle. Et il demeure certain que c’est le désir de réaliser de cette façon mon bien, c’est-à-dire l’égoïsme, qui est la source de ce principe éthique. Comme base de la politique, il serait excellent ; comme principe de la morale, il ne vaut rien. Celui qui recherche un régulateur pour la volonté de tous, comme le suppose ce principe moral, est évidemment en quête avant tout d’un régulateur personnel, autrement tout lui serait indifférent. Mais ce régulateur ne peut être que son propre égoïsme, car cet égoïsme est l’unique confluent par lequel pénètre en lui la conduite d’autrui ; ce n’est qu’au moyen de lui et par considération pour lui qu’il peut avoir une volonté touchant les actes d’autrui, et y être intéressé. Kant le donne à reconnaître lui-même avec une grande naïveté (p. 123 de la Crit. de la rais. prat., p. 192 de l’éd. Rosenkr.), car voici comment en ce passage il explique la recherche d’une maxime pour la volonté : « Si tout le monde voyait le malheur d’autrui avec une entière indifférence, et que tu appartinsses à un tel ordre de choses, y consentirais-tu ? Ce consentement de la part d’un individu équivaudrait à l’approbation d’une loi inique dirigée contre lui-même (quam temere in nosmet legem sancimus iniquam ! ). » De même dans le Fondement de la métaphysique des mœurs (p. 56 de la 3e édit., p. 50 de l’éd. Rosenkranz) : « Une volonté qui déciderait de n’assister personne dans la peine, serait en contradiction avec elle-même, car il peut arriver des cas où elle-même ait besoin de l’amour et de la sympathie d’autrui. » Ce principe moral qui, considéré de près, n’est autre chose que