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critique de la philosophie kantienne

base peut-on lui donner ? »… Dans les Rêveries du promeneur (prom. 4e), il dit : « Dans toutes les questions de morale difficiles, je me suis toujours bien trouvé de les résoudre par le dictamen de la conscience, plutôt que par les lumières de la raison ». — Aristote déjà avait dit expressément que les vertus ont leur siège dans αλογω μοριω της ψυχης (c’est-à-dire la partie irraisonnable de l’âme), et non pas dans le λογον εχοντι (la partie raisonnable). Conformément à ceci Stobée (Ecl., II, c. 7) dit, en parlant des péripatéticiens : Την ηθικην αρετην υπολαμϐανουσι περι το αλογον μερος γιγνεσθαι της ψυχης, επειδη διμερη προς την παρουσαν θεωριαν υπεθεντο την ψυχην, το μεν λογικον εχουσαν, το δ’αλογον. Και περι μεν το λογικον την καλοκαγαθιαν γιγνεσθαι, και την φρονησιν, και την αγχινοιαν, και σοφιαν, και ευμαθειαν, και μνημην, και τας ομοιους, περι δε το αλογον, σωφροσυνην, και δικαιοσυνην, και ανδρειαν, και τας αλλας τας ηθικας καλουμενας αρητας. (Ethicam virtutem circa partem animæ ratione carentem versari putant, cum duplicem, ad hanc disquisitionem, animant ponant, ratione præditam, et ea carentem. In parte vero ratione prædita collocant ingenuitatem, prudentiam, perspicacitatem, sapientiam, docilitatem, memoriam et reliqua ; in parte vero ratione destituta temperantiam, justitiam, fortitudinem et reliquas virtutes quas ethicas vocant.) Et Cicéron (De nat. Deor., III, c. 26-31) expose longuement que la raison est le moyen et l’outil nécessaire à tous les crimes.

J’ai expliqué que la raison est la faculté des concepts. C’est cette classe spéciale de représentations générales et non intuitives, symbolisées et fixées par des mots seulement, qui distingue l’homme de l’animal et le rend maître du monde. Si l’animal est l’esclave du présent, s’il ne connaît que des motifs sensibles immédiats, et si par conséquent, lorsque ces motifs se présentent à lui, il est attiré ou repoussé par eux aussi nécessairement que le fer par l’aimant ; au contraire, dans l’homme, grâce à la raison, est née la réflexion. C’est la réflexion qui lui permet de voir l’avenir et le passé, de faire des revues rapides de sa propre vie et du cours du monde, qui le rend indépendant du présent, qui lui donne le pouvoir de faire après mûr examen, après avoir tout prévu et combiné, le bien comme le mal. Mais tout ce qu’il fait, il le fait avec la pleine conscience de ses actes : il sait avec précision dans quel sens se décide sa volonté, ce qu’elle a choisi et quel autre choix elle eût pu faire, et cette volonté consciente lui apprend à se connaître soi-même, à se mirer dans ses propres actes. Dans toutes ces relations avec l’activité humaine, la raison mérite le nom de pratique ; elle n’est théorique qu’autant que les objets dont elle s’occupe ne se rapportent pas à l’activité du sujet qui pense, mais ont un intérêt purement théorique, auquel peu d’hommes sont accessibles. Le sens de l’expression « raison pratique » ainsi entendue est assez bien rendu par