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critique de la philosophie kantienne

même la critique que fait Kant de toute théologie spéculative a peut-être son point de départ dans la critique que fait Hume de toute théologie populaire, et qu’il a exposée dans sa remarquable natural history of religion, et dans ses Dialogues on natural religion : peut-être même Kant a-t-il voulu, dans une certaine mesure, compléter ces écrits. Car le premier des écrits susnommés de Hume est au fond une critique de la théologie populaire, critique qui en veut montrer le piteux et misérable caractère, et renvoyer à la théologie spéculative ou rationnelle comme à la seule vraie et respectable. Kant à son tour découvre tout le néant de cette dernière, et ne touche pas à la théologie populaire ; au contraire il la remet debout, sous une forme plus noble, comme croyance fondée sur le sens moral. Après lui de prétendus philosophes ont singulièrement perverti et détourné de son acception primitive ce sens moral, qu’ils ont transformé en connaissance rationnelle, en conscience de la divinité, en intuition intellectuelle du suprasensible, de la divinité, etc. ; au lieu que Kant, lorsqu’il brisa d’anciennes et respectables idoles, reconnaissant tout le danger de cette entreprise, ne cherchait en créant la théologie morale qu’à dresser provisoirement quelques faibles étais, afin que l’édifice ne l’ensevelît point lui-même sous sa chute et qu’il pût trouver le temps de se retirer.

En ce qui concerne l’exécution, une critique de la raison n’était nullement nécessaire pour la réfutation de la preuve ontologique de l’existence de Dieu, car il est facile de démontrer, sans même faire intervenir l’esthétique ni l’analytique, que toute preuve ontologique n’est qu’un jeu subtil de concepts, sans aucune valeur probante. Déjà dans l’Organum d’Aristote se trouve un chapitre, qui semble avoir été écrit spécialement en vue de réfuter la preuve ontologique, tant il se prête à cette fin ; c’est le septième chapitre du deuxième livre des Analyt. post. : entre autres il y est dit expressément : το δε ειναι ουκ ουσια ουδενι : c’est-à-dire : « Il n’y a pas d’être qui ait pour toute essence d’exister. »

La réfutation de la preuve ontologique est une application des doctrines critiques exposées jusque-là à un cas donné : nous n’avons rien de particulier à en dire. — La preuve physico-théologique est une pure amplification de la preuve cosmologique, qu’elle suppose ; elle n’est d’ailleurs expressément réfutée que dans la Critique du Jugement. Je renvoie à cet égard mes lecteurs à la rubrique « Anatomie comparée », dans mon écrit sur la Volonté dans la Nature.

Kant, comme nous l’avons dit, n’a affaire dans cette critique qu’à la théologique spéculative, aux théories de l’École. Si, au contraire, il avait pris en considération la vie et la théologie populaire, il se serait vu forcé d’ajouter aux trois preuves une quatrième, qui agit sur le vulgaire avec le plus de force, et que dans la langue